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LA VILLE AUX ILLUSIONS

le brave homme qui savait par expérience qu’il ne faut jamais contrarier les femmes, et surtout la sienne.

C’était la première fois de sa vie que Jean entrait dans notre temple national de la musique, et même qu’il entendait un opéra. Il trouva le coup d’œil prestigieux, mais le jeu des acteurs lui-même l’ennuya. Il ne comprenait pas qu’ils n’échangent que des roulades et des grands airs, et le premier acte s’acheva sans qu’il ait encore saisi le sens de l’action qui se passait devant lui.

— Eh bien ! questionna Arlette, toute rose de plaisir, en se tournant vers lui. Comment trouvez-vous Massenet ?

— Délicieux, répondit-il poliment, bien qu’il préférât mille fois La Chanson d’une Nuit ou Parlez-moi d’Amour.

— Moi, ce que j’aime surtout, à l’Opéra, dit Mme Fousseret, c’est le coup d’œil… Regarde donc cette femme en rose, là-bas, ajouta-t-elle en désignant une personne assise dans une loge en face à sa fille. Elle a au moins pour cent mille francs de bijoux sur elle.

— Tiens ! dit Arlette qui se penchait pour inspecter le parterre. J’aperçois le vicomte des Aubrays et M. Peyronnet…

Elle leur fit un petit signe discret. Ceux-ci sourirent à la jolie apparition. Quelques minutes plus tard, ils entraient dans la loge.

Le vicomte des Aubrays était un homme d’une trentaine d’années, que l’abus de la vie de Paris et des plaisirs avaient prématurément fané. Ses tempes se dégarnissaient, mais il en était assez fier, car ses amis prétendaient que cette précoce calvitie lui donnait l’air d’un intellectuel. En fait d’intellectualité, le vicomte appréciait surtout les revues hippiques, car il s’intéressait fort aux chevaux. Cependant, il consentait de bonne grâce à se montrer partout où il est séant d’être vu, lorsqu’on a l’insigne honneur de faire partie du « Tout-Paris » et qu’on est inscrit sur