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LA VILLE AUX ILLUSIONS

temps encore. Il abandonnait la lumière, la chaleur, la gaieté, l’amour, pour l’ombre à peine traversée par les globes électriques de la rue, le froid âpre d’une nuit de décembre, les gros mois et le ton rude des autres forts de la Halle, ses compagnons de chaque matin…

Il pensa qu’il la laissait en compagnie de ce vicomte détesté. Mais Arlette le préférait ! Elle le lui avait avoué ! Cette certitude le réconforta. Il partit, le cœur plus léger.

Il courut chez lui se changer d’habits, puis, en costume de travail, se rendit aux Halles, et commença son dur travail.

Il devait retrouver les Fousseret la veille du Premier Janvier. On devait aller au Théâtre, puis souper encore ensemble par là.

Mais, l’avant-veille, lorsqu’il voulut se lever pour aller à son travail nocturne, un étrange engourdissement s’empara de ses membres. En même temps, une fièvre subite lui chauffait le front et le corps. Il n’avait presque pas dormi de la nuit ; il s’était retourné en vain, lui qui avait d’habitude un si bon sommeil, pour trouver un peu de fraîcheur et un peu de repos… D’ailleurs, depuis quelques jours, il avait constaté quelques symptômes qui l’avaient étonné sans l’inquiéter : il avait saigné deux fois du nez ; il avait ressenti quelques douleurs dans les membres et dans la nuque ; parfois, des migraines tenaces le faisaient souffrir. Depuis plusieurs matins, il se sentait une lourdeur inaccoutumée, pour se rendre à ses occupations. Il avait tout attribué à la fatigue, peut-être aussi au manque de nourriture… Pour augmenter son compte de dépenses somptuaires, il rognait tant qu’il le pouvait sur ses repas. Il buvait, le matin, un petite tasse de café noir ; à midi, il déjeunait dans un modeste restaurant à cinq francs ; le soir, il se contentait d’un bol de chocolat et d’une brioche… Ce régime délibitant, pour un garçon fort comme lui, habitué aux plantureux menus de la vie campagnarde, l’avait fait maigrir de plusieurs kilos. Mais