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Page:Bernanos - Journal d’un curé de campagne.djvu/156

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JOURNAL

sa devise. À la guerre, qu’un bonhomme de troisième ou quatrième ligne, qu’un muletier du service des étapes, lâche pied, ça n’a pas autrement d’importance, pas vrai ? Et s’il s’agit d’un gâteux de civil qui n’a qu’à lire le journal, qu’est-ce que tu veux que ça fasse au généralissime ? Mais il y a ceux de l’avant. À l’avant, une poitrine est une poitrine. Une poitrine de moins, ça compte. Il y a les Saints. J’appelle Saints ceux qui ont reçu plus que les autres. Des riches. J’ai toujours pensé, à part moi, que l’étude des sociétés humaines, si nous savions les observer dans un esprit surnaturel, nous donnerait la clef de bien des mystères. Après tout l’homme est à l’image et à la ressemblance de Dieu : lorsqu’il essaie de créer un ordre à sa mesure, il doit maladroitement copier l’autre, le vrai. La division des riches et des pauvres, ça doit répondre à quelque grande loi universelle. Un riche, aux yeux de l’Église, c’est le protecteur du pauvre, son frère aîné, quoi ! Remarque qu’il l’est souvent malgré lui, par le simple jeu des forces économiques, comme ils disent. Un milliardaire qui saute, et voilà des milliers de gens sur le pavé. Alors, on peut imaginer ce qui se passe dans le monde invisible lorsque trébuche un de ces riches dont je parle, un intendant des grâces de Dieu ! La sécurité du médiocre est une bêtise. Mais la sécurité des Saints, quel scandale ! Il faut être fou pour ne pas comprendre que la seule justification de l’inégalité des conditions