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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

surnaturelles, c’est le risque. Notre risque. Le tien, le mien. »

Tandis qu’il parlait ainsi, son corps restait droit, immobile. Qui l’aurait vu assis sur ce banc, par ce froid après-midi ensoleillé d’hiver, l’eût pris pour un brave curé discutant des mille riens de sa paroisse et doucement vantard, auprès du jeune confrère déférent, attentif.

— Retiens ce que je vais te dire : tout le mal est venu peut-être de ce qu’il haïssait les médiocres. « Tu hais les médiocres, » lui disais-je. Il ne s’en défendait guère, car c’était un homme juste, je le répète. On devrait prendre garde, vois-tu. Le médiocre est un piège du démon. La médiocrité est trop compliquée pour nous, c’est l’affaire de Dieu. En attendant, le médiocre devrait trouver un abri dans notre ombre, sous nos ailes. Un abri, au chaud — ils ont besoin de chaleur, pauvres diables ! « Si tu cherchais réellement Notre-Seigneur, tu le trouverais, » lui disais-je encore. Il me répondait : « Je cherche le bon Dieu où j’ai le plus chance de le trouver, parmi ses pauvres. » Vlan ! Seulement, ses pauvres, c’étaient tous des types dans son genre, en somme, des révoltés, des seigneurs. Je lui ai posé la question, un jour : « Et si Jésus-Christ vous attendait justement sous les apparences d’un de ces bonshommes que vous méprisez, car sauf le péché, il assume et sanctifie toutes nos misères ? Tel lâche n’est qu’un misérable écrasé sous l’immense appareil social comme un rat