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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

dit, laissez-moi, j’ai l’habitude, oh la la ! C’était bien autre chose à la noce de mon frère Narcisse. Hein, qu’est-ce que vous dites ? » Je claquais des dents, elle a fini par comprendre que je lui demandais de venir le lendemain au presbytère, que je lui expliquerais. — « Ma foi non, j’ai raconté du mal de vous, des horreurs. Vous devriez me battre. Je suis jalouse, horriblement jalouse, jalouse comme une bête. Et méfiez-vous des autres. Ce sont des cafardes, des hypocrites ». Tout en parlant, elle me passait son chiffon sur le front, les joues. L’eau fraîche me faisait du bien, je me suis levé, mais je tremblais toujours aussi fort. Enfin ce frisson a cessé. Ma petite Samaritaine levait sa lanterne à la hauteur de mon menton, pour mieux juger de son travail, je suppose. — « Si vous voulez, je vous accompagnerai jusqu’au bout du chemin. Prenez garde aux trous. Une fois hors des pâtures, ça ira tout seul. » Elle est partie devant moi, puis le sentier s’élargissant, elle s’est rangée à mon côté, et quelques pas plus loin a mis sa main dans la mienne, sagement. Nous ne parlions ni l’un ni l’autre. Les vaches appelaient lugubrement. Nous avons entendu le claquement d’une porte au loin. — « Faut que je rentre, » a-t-elle dit. Mais elle s’est plantée devant moi, dressée sur ses petites jambes. « N’oubliez pas de vous coucher en rentrant, c’est ce qu’il y a de mieux. Seulement vous n’avez personne pour vous faire chauffer du café. Un homme sans femme, je trouve ça bien malheureux, bien em-