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Page:Bernanos - Journal d’un curé de campagne.djvu/360

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JOURNAL

connaît les remèdes, et bien qu’il soit maintenant de la partie, même avec sa réduction de 55 pour 100, la pharmacie coûte cher. » — « Qu’est-ce que vous faites ? » Elle a hésité un moment. — « Des ménages. Dans notre métier, voyez-vous, ce qui fatigue, c’est plutôt de cavaler d’un quartier à l’autre. » — « Mais son commerce, à lui ? » — « Il paraît que ça rapportera gros. Seulement il a fallu emprunter pour le bureau, la machine à écrire, et puis, vous savez, il ne sort guère. Parler le fatigue tellement ! Remarquez, je m’en tirerais bien toute seule, mais il s’est mis en tête de faire mon instruction, comme il dit, l’école, quoi ! » — « Quand cela ? » — « Ben, le soir, la nuit, car il ne dort pas beaucoup. Des gens comme moi, des ouvriers, il nous faut notre sommeil. Oh ! notez, il ne le fait pas exprès, il n’y pense pas : « Voilà déjà minuit, qu’il dit. » Dans son idée, je dois devenir une dame. Un homme de sa valeur, forcément, rendez-vous compte… Sûr et certain que je n’aurais pas été une compagne pour lui si… » Elle m’observait avec une attention extraordinaire comme si sa vie même eût dépendu du mot qu’elle allait dire, du secret qu’elle allait livrer. Je ne pense pas qu’elle se méfiait de moi, mais le courage lui manquait de prononcer devant un étranger le mot fatal. Elle était plutôt honteuse. J’ai souvent remarqué chez les pauvres femmes cette répugnance à parler des maladies, cette pudeur. Son visage s’est empourpré. « Il va mourir, a-t-elle dit.