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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

« N’empêche que le pauvre monde rêve toujours plus ou moins à l’antique contrat passé jadis avec les démons et qui devait assurer son repos. Réduire à la condition d’un bétail, mais d’un bétail supérieur, un quart ou un tiers du genre humain, ce n’était pas payer trop cher, peut-être, l’avènement des surhommes, des pur-sang, du véritable royaume terrestre… On le pense, on n’ose pas le dire. Notre-Seigneur en épousant la pauvreté a tellement élevé le pauvre en dignité, qu’on ne le fera plus descendre de son piédestal. Il lui a donné un ancêtre — et quel ancêtre ! Un nom — et quel nom ! On l’aime encore mieux révolté que résigné, il semble appartenir déjà au royaume de Dieu, où les premiers seront les derniers, il a l’air d’un revenant, — d’un revenant du festin des Noces, avec sa robe blanche… Alors, que veux-tu, l’État commence par faire contre mauvaise fortune bon cœur. Il torche les gosses, panse les éclopés, lave les chemises, cuit la soupe des clochards, astique le crachoir des gâteux, mais regarde la pendule et se demande si on va lui laisser le temps de s’occuper de ses propres affaires. Sans doute espère-t-il encore un peu faire tenir aux machines le rôle jadis dévolu aux esclaves. Bernique ! Les machines n’arrêtent pas de tourner, les chômeurs de se multiplier, en sorte qu’elles ont l’air de fabriquer seulement des chômeurs, les machines, vois-tu ça ? C’est que le pauvre a la vie dure. Enfin, ils essaient encore, là-bas, en Russie… Remarque que