Aller au contenu

Page:Bernanos - Les Grands Cimetières sous la lune.pdf/105

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
83
SOUS LA LUNE

de l’Injustice, on ne lui fait pas plier les reins. Tous ceux qui l’ont essayé sont tombés dans une injustice plus grande, ou sont morts désespérés : Luther et Lamennais sont morts, Proudhon est mort. L’agonie de Drumont, plus résignée, n’a peut-être pas été moins amère. Celle de M. Charles Maurras risque d’être plus difficile encore, si la Providence ne ménage au vieil écrivain, entre la vieillesse et la mort, une zone de sérénité, impénétrable aux imbéciles. Je sais cela. Si vous le savez aussi, je ne vous blâmerai pas de tourner le dos à des malheurs que vous estimez inévitables. Je voudrais cependant vous persuader de leur faire face un moment, non pour en retarder le cours, peut-être irrésistible, mais pour les voir, les voir au moins une fois, tels quels, les voir de vos yeux. Ils ne sont pas du tout ce que vous pensez. Ils ne répondent pas à l’idée que vous vous en faites. Ils sont à votre mesure, quoi que vous pensiez. Ils sont à la mesure de votre peur. Ils sont probablement cette peur même, je ne crois pas parler à la légère, je viens de voir un malheureux pays tout entier livré à cette espèce de démon. Vous auriez d’ailleurs parfaitement tort de vous représenter ce démon sous les espèces d’un diablotin blafard, vidé par la colique. C’est que votre imagination prend les premiers symptômes du mal pour le mal lui-même. La peur, la vraie peur, est un délire furieux. De toutes les folies dont nous sommes capables, elle est assurément la plus cruelle. Rien n’égale son élan, rien ne