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Page:Bernanos - Les Grands Cimetières sous la lune.pdf/106

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LES GRANDS CIMETIÈRES

peut soutenir son choc. La colère qui lui ressemble n’est qu’un état passager, une brusque dissipation des forces de l’âme. De plus, elle est aveugle. La peur, au contraire, pourvu que vous en surmontiez la première angoisse forme, avec la haine, un des composés psychologiques les plus stables qui soient. Je me demande même si la haine et la peur, espèces si proches l’une de l’autre, ne sont pas parvenues au dernier stade de leur évolution réciproque, si elles ne se confondront pas demain dans un sentiment nouveau, encore inconnu, dont on croit surprendre parfois quelque chose dans une voix, un regard. Pourquoi sourire ? L’instinct religieux demeuré intact au cœur de l’homme et la Science, qui l’exploite follement, font lentement surgir d’immenses images, dont les peuples s’emparent aussitôt avec une avidité furieuse, et qui sont parmi les plus effrayantes que le génie de l’homme ait jamais proposées à ses sens, à ses nerfs si terriblement accordés aux grandes harmoniques de l’angoisse.

Les mêmes gens qui prétendent résoudre tous les problèmes de la vie politique ou sociale grâce aux exemples tirés de l’histoire romaine me répondront sûrement que la peur est depuis longtemps connue des psychologues et qu’il n’y a plus rien à dire sur un sujet si rebattu. Je suis d’un avis différent, probablement parce que je ne me fais pas de l’hu-