Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/234

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« Ah ! je vous en supplie, lui dis-je. Retournez là-bas, et aussitôt une nouvelle dépêche, apportez-la-moi. Je pressens quelque chose d’incroyable, de grand ! Quelque chose d’autre va venir ; et nous avons tant souffert depuis un mois, que cela ne peut être que du bien, du beau ; car la balance du bon Dieu égalise joies et souffrances. Allez, mon bon Claude, allez. »

Et je m’endormis en pleine confiance. J’étais si fatiguée que je dormis jusqu’à une heure. Quand je m’éveillai, ma femme de chambre Félicie, la plus délicieuse jeune fille qu’on puisse rêver, était assise près de mon lit. Sa jolie figure, ses grands yeux noirs étaient empreints d’une telle tristesse, que mon cœur s’arrêta de battre. Je la regardai anxieuse ; elle me remit une dépêche, la copie de là-bas : « L’empereur Napoléon III vient de remettre son épée. » Le sang m’empourpra le visage et, mes poumons étant trop faibles pour retenir un pareil flux, je laissai tomber ma tête sur l’oreiller, et le sang s’échappa de mes lèvres avec la plainte de tout mon être.

Je restai trois jours entre la vie et la mort. Le docteur Leudet fit chercher un ami de mon père, un armateur nommé M. Maunoir. Il accourut avec sa jeune femme, bien malade, elle aussi, plus malade que moi sous son aspect de fraîcheur, car elle mourut six mois après.

Grâce à leur sollicitude et aux soins énergiques du docteur Leudet, je sortis vivante de cette crise. Mais je résolus de rentrer à Paris de suite. L’état de siège allait être proclamé. Je ne voulais pas que ma mère, mes sœurs, ma nièce restassent dans la capitale. Du reste, la folie du départ s’était emparée de tout le monde, malades et touristes.