Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/267

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d’arriver et pansait le blessé, qui avait une horrible plaie en haut de la cuisse. « Eh bien, mon ami, lui dit-il, quand votre fièvre sera tombée, vous mangerez une belle aile de poulet. » L’Allemand haussa les épaules. « En attendant, buvez ceci, et vous m’en direz des nouvelles. » Et il lui présenta un verre d’eau coupée par l’excellent cognac que m’avait envoyé le préfet. C’est, du reste, la seule tisane qui fut jamais prise par mes soldats.

Le Silésien ne parla plus. Mais il prit l’air fermé et circonspect des gens qui savent et ne veulent pas dire.


Cependant, on continuait à nous bombarder. Le drapeau d’ambulance servait sûrement de cible aux ennemis, car ils tiraient avec une justesse surprenante et rectifiaient leur tir dés qu’une bombe s’écartait un peu des alentours du Luxembourg, Nous reçûmes ainsi plus de douze bombes dans la même nuit. Ces lugubres obus semblaient, quand ils éclataient en l’air, un spectacle de fête. Puis les éclats lumineux retombaient noirs et meurtriers.

Georges Boyer, qui était alors un jeune journaliste, vint me rendre visite à l’ambulance, et je lui racontai les terrifiantes beautés de la nuit. « Oh ! je voudrais bien voir cela ! me dit-il. — Venez ce soir, vers neuf ou dix heures, et vous verrez. »

Nous passâmes plusieurs heures à la petite fenêtre ronde de ma loge, qui s’orientait vers Châtillon. C’était de là que les Allemands tiraient le plus. Nous écoutions dans le silence de la nuit les bruits sourds venant de là-bas ; puis, une lumière, un formidable coup lointain, et la bombe arrivait sur nous,