Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/346

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« Écoute, reprit très amicalement le séduisant directeur. Tu sais que je ne puis agir seul. Je ferai mon possible, je te le jure. » Et Duquesnel tenait toujours sa parole. « Reviens demain avant de passer à la Comédie, je te donnerai la réponse de Chilly. Mais crois-moi, s’il s’entête dans un refus de t’augmenter, ne pars pas ! Nous trouverons un moyen. Et puis... et puis... enfin, je ne puis t’en dire davantage ! »

Je revins le lendemain ainsi que c’était convenu. Je trouvai Duquesnel et Chilly dans le cabinet directorial. Chilly m’interpella assez brutalement : « Eh bien, Duquesnel me dit que tu veux t’en aller ? Où vas-tu ? C’est stupide ! ta place est ici ! Voyons, réfléchis... Au Gymnase, on ne joue que des pièces modernes et à toilettes, ça n’est pas ton affaire. Au Vaudeville, de même. A la Gaîté, tu te casseras la voix. Tu es trop distinguée pour l’Ambigu... »

Je le regardai sans rien répondre. Je compris que son co-associé ne lui avait pas parlé du Théâtre-Français. Il se sentit gêné et marmonna : « Hein ! tu es de mon avis ?... — Non ! Tu as oublié la Comédie ! »

Il s’esclaffa dans son large fauteuil. « Ah ! non, ça, ma chère amie, il ne faut pas me la faire : ils ont soupé de ton mauvais caractère, à la Comédie. J’ai, l’autre soir, dîné avec Maubant. Et comme quelqu’un disait qu’on devrait t’engager à la Comédie-Française, il a failli étrangler de fureur. Et je t’assure qu’il n’a pas été tendre pour toi, le grand tragédien. — Eh bien, tu aurais dû me défendre ! m’écriai-je, irritée. Tu sais bien que je suis une très sérieuse pensionnaire. — Mais, je t’ai défendue. Et j’ai même ajouté que ce serait bien heureux pour la Comédie d’avoir une artiste ayant ta volonté ; que peut-être cela changerait