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Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/393

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Poussez le rôle vers la douleur et non vers la fureur, tout le monde y gagnera, même Racine. »

Alors, joignant les mains : « Oh ! mon petit Monsieur Régnier, faites-moi travailler Phèdre et j’aurai moins peur. » Il me regarda, un peu surpris, car je n’étais, en général, ni docile, ni accessible aux conseils ; je reconnais que j’avais tort, mais j’étais ainsi. Seulement, la responsabilité qui m’incombait me rendait timide.

Régnier accepta, et je pris rendez-vous pour le lendemain matin, à neuf heures. Rosélia Rousseil persistant dans sa demande au comité, Phèdre fut affichée pour le 21 décembre, avec Mlle Sarah Bernhardt pour la première fois dans le rôle de Phèdre.

Cela fit grand bruit dans la phalange artistique et dans le monde qui aime le théâtre. Le soir, on refusa plus de deux cents personnes au bureau de location. Quand on vint m’annoncer cela, je me pris à trembler très fort.

Régnier me réconfortait de son mieux, en disant : « Voyons, courage ! N’êtes-vous pas l’enfant gâtée du public ? Il fera crédit à votre inexpérience des grands premiers rôles... etc., etc. »

C’étaient les seules paroles qu’il ne fallait pas me dire. Je me serais sentie plus forte si j’avais pensé que tout ce public venait contre, et non pour moi.

Je me mis à pleurer désespérément comme pleurent les enfants. Perrin, appelé, me consola de son mieux ; puis il me fit rire, en me remettant de la poudre de riz si maladroitement, que je fus un instant aveuglée et étouffée,

Tout le théâtre averti se tenait à la porte de ma loge, voulant entrer pour me réconforter. Mounet-Sully, qui jouait Hippolyte, me disait qu’il avait fait un rêve :