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« Oh ! j’aurai mon jardin, dis, mon jardin pour moi seule ? — Oui, dit ma mère, pour toi seule. »

La Supérieure appela le jardinier, le père Larcher, le seul homme qui, avec l’aumônier, faisait partie du personnel du couvent.

« Père Larcher, dit l’aimable femme, voilà une enfant qui veut un beau jardin. Choisissez-le-lui dans un bel endroit. — Bien, ma Mère », dit le brave homme. Je vis mon père glisser une pièce dans la main du jardinier, qui remercia confus.

L’heure avançait. Il fallut se quitter. Je me souviens très bien que je n’en éprouvai aucun chagrin.

Je ne pensais qu’à mon jardin. Le couvent ne me paraissait plus une prison, mais un paradis.

J’embrassai maman, ma tante. Papa me tint un instant serrée contre lui. Et, quand je le regardais, il avait les yeux pleins de larmes ; mais moi, je n’avais pas envie de pleurer.

Je l’embrassai fort, et lui dis tout bas : « Je vais être sage, sage, et vais bien travailler pour partir dans quatre ans avec toi. »

Puis j’allai vers maman qui faisait à mère Sainte-Sophie les mêmes recommandations qu’à Mme Fressard : cold-cream, chocolat, confitures, etc., etc.

Mère Sainte-Sophie inscrivait toutes les recommandations ; et elle eut soin de les faire exécuter scrupuleusement.

Toute ma famille partie, je me sentis prête à pleurer. Mais la Supérieure me prit la main et m’emmena au « moyen bois » pour me faire voir où serait mon jardin. Il n’en fallut pas plus pour me distraire.

Nous trouvâmes le père Larcher en train de tracer une légère ligne de démarcation dans l’angle du bois.