Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/57

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trouver sur la petite estrade. Elle m’embrassa tendrement.

Quant à Louise Buguet, elle avait retrouvé sa gaieté, et sa jolie figure d’ange rayonnait : « Oh ! que tu as bien su ! Et puis, toi, on t’entend. Oh ! je te remercie ! » Et elle m’embrassait. Et je la serrais de toutes mes forces. Enfin ! j’en étais !

Le troisième tableau commença. Il se passait dans la maison du vieux père.

L’ange, Gabélus et le jeune Tobie regardaient, tenaient dans leurs mains les viscères retirés du poisson. Et l’ange expliquait comment il fallait s’en servir pour frotter les yeux du père aveugle. J’avais un peu mal au cœur, car je tenais dans mes mains le foie d’une raie, le cœur et le gésier d’un poulet. Je n’avais jamais touché à ces choses. Et, par moments, ma gorge se serrait dans un haut-le-cœur ; et les larmes me venaient aux yeux.

Enfin, le père aveugle entrait, guidé par les sœurs de Tobie. Gabélus, un genou en terre devant le vieillard, lui remettait les dix talents d’argent et, dans un grand récit, racontait les exploits de Tobie en Médie. Enfin Tobie s’approchait de son père et, après l’avoir tenu longtemps embrassé, il lui frottait les yeux avec le foie de la raie.

Eugénie Charmel fit une grimace ; mais, après s’être essuyée, elle s’écria : « Je vois ! Je vois !… Dieu de bonté ! Dieu de clémence ! Je vois ! Je vois ! » Les bras tendus, les yeux ouverts dans une pose extatique, elle s’avança… et tout ce petit public naïf et plein d’amour pleura.

Tout le monde sur l’estrade était à genoux, rendant grâces au bon Dieu, sauf le vieux Tobie et l’ange. Et