Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/64

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a pleuré, et cela ne m’a rien fait ! » Pauvre de moi, je croyais, dans ma folle exagération de toutes choses, que c’était un renoncement de tendresse, de dévouement et de pitié qu’on me demandait.

Le lendemain, mère Sainte-Sophie me sermonna doucement sur ma mauvaise compréhension des devoirs religieux ; et elle me dit qu’une fois ma première communion faite, elle me donnerait quinze jours de congé pour effacer le chagrin de maman.

Je fis ma première communion dans le même pompeux cérémonial, toutes les élèves en blanc, portant des cierges. Mais je n’avais pas voulu manger depuis huit jours. J’étais pâle, amaigrie, les yeux agrandis par la perpétuelle extase. Je poussais tout à l’extrême.

Le baron Larrey, venu avec ma mère pour assister à ma première communion, demanda et obtint un congé d’un mois pour me remettre. Nous partîmes, maman, Mme Guérard, son jeune fils Ernest, ma sœur Jeanne, et moi. Maman nous emmenait tous dans les Pyrénées, à Cauterets.

Le mouvement, les malles, les boîtes, les paquets, le chemin de fer, la diligence, les paysages se déroulant, la cohue, le brouhaha… tout cela eut raison de moi, de mes nerfs, de mon mysticisme.

Je battais des mains, j’éclatais de rire ; je me jetais sur maman pour l’embrasser à l’étouffer. Je chantais des cantiques à tue-tête. J’avais faim, j’avais soif ; je mangeais, je buvais, je vivais !