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au large de l’écueil

loin de ton visage, loin de ta voix, loin de ton amour, loin de vous tous ?

Pendant tout ce temps, Jeanne dévorait de ses prunelles encore humides le frère que la magie des pays lointains auréolait. La force intellectuelle émanait de la tête mince que couronnaient de longs cheveux bruns. Il avait presque la taille du père, il en avait les yeux noirs, mais plus doux, plus souvent remplis d’éclairs. La moustache très sobre donnait du relief aux lèvres nerveuses. La pratique des sports lui valait la souplesse du corps bien charpenté. Son front, un peu étroit, s’imposait par le rayonnement de la pensée toujours à la besogne : une énergie presque tyrannique animait le visage plutôt intéressant que régulier. Le voyage avait mûri ces traits virils. Jeanne, en présence de ce qu’elle croyait un autre Jules, n’intervenait pas dans les effusions de la mère et de son fils.

— Tu es bien sage, mon petit Jean ! lui dit son frère qui s’en étonna. Que tu es jolie !… Tu as bien fait de ne pas grandir !… Ce ne serait plus toi, si tu étais plus grande !…

— Tu dis ça, mais je ne sais pas si tu le penses encore, reprit Jeanne, presque timide. Il y a quel-