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au large de l’écueil

ligne effleurant la cîme des bois jusqu’au lointain Nord, le prolongement des provinces sœurs jusqu’au Pacifique, la grande route des vallées et des collines allant à la terre qui n’est plus canadienne.

C’est un peu de tout cela que se nuancent la causerie et l’impression de Marguerite et Jules, appuyés au rebord de la Terrasse. Un nuage cuivré gravit lentement l’azur au-dessus du Mont Sainte-Anne et du Cap Tourmente, et les sommets, les pentes, les villages ternissent dans l’ombre qu’il traîne. Plus il avance, plus il écrase de sa lourdeur. Une teinte d’orage envahit le fleuve entre Sainte-Famille-de-l’Île et les grèves de Beaupré. Le vent s’affaisse, et les voiles pendent comme des ailes cassées. Un silence dans l’air fait peser sur les cœurs une sensation vaguement angoissante. Et le soleil, dont les rayons s’épanchent à torrents sur le Bout-de-l’Île et Lévis, ne fait pas oublier le nuage qui vient. La nature prépare une de ses colères et l’homme est dompté.

Et cependant, la puissance de l’homme éclate de toutes parts : dans la masse de la Basse-Ville, où les ruches de labeur foisonnent, où les