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au large de l’écueil

millions grouillent, où tant de cerveaux fermentent et se bandent chaque jour, où les entrepôts regorgent, où les mâts sont légion dans le port ; dans les faubourgs de Lévis, où les foyers continuent l’histoire d’un peuple, où les clochers perpétuent l’œuvre du Christ ; dans le collège de Notre-Dame, où l’on façonne les couches supérieures de la société prochaine, où l’on outille les jeunes de science, d’honneur et de foi ; dans l’Hospice de la Délivrance, où la pitié est organisée comme la discipline d’un régiment ; dans le paquebot qui s’en va, dont le capitaine ne songe même pas aux fureurs probables de l’Océan ; dans le sifflement d’une locomotive qui s’est raillée de la distance et dans la fumée des bateaux-passeurs qui bravent le courant impulsif ; dans la Citadelle, où le canon menace, les murailles défient, l’étendard britannique règne ; dans le Château Frontenac, où les subalternes à la douzaine travaillent, sous un chef tout-puissant, à multiplier les jouissances du dollar tyrannique. Et pourtant, l’homme se sent écrasé par le nuage qui s’avance.

Marguerite et Jules, qui prennent place à l’une des tables vertes du café, subissent le malaise