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CE QUE DISAIT LA FLAMME…

un bonheur obligatoire et sacré, il se livra à la douceur de n’être plus lâche, à l’extase du souvenir…

Aussi n’a-t-il guère, cet après-midi, qu’affermi et savouré la tendresse pure et souveraine pour la compagne assise auprès de lui. Quand il alla vers elle, gravit allègrement la Côte du Passage, il ramassait les indices révélateurs du cœur de Lucile. Il pressentit qu’ignorante, par modestie et sagesse, de ce qui la troublait, elle commençait à l’aimer. Du moins pouvait-il ne pas se blâmer de suffisance : il ne s’était jamais enorgueilli de l’émouvoir. Autre chose fut la résolution de ne pas la fréquenter : n’eut-il pas alors conscience d’un péril ordinaire auquel, sans insulte ou présomption, il désira la soustraire ? L’entretien qui maintenant confond leurs âmes, l’assure qu’elle aime, mais qu’elle ne le sait pas encore… De ce qu’elle n’est pas vaniteuse et calculatrice, un contentement si bon inonde Jean qu’il va le faire durer. À la minute où elle percevra combien sérieuse est l’admiration qu’elle exalte, résistera-t-elle à une vision de luxe et d’honneurs, n’en sera-t-elle pas amoindrie ? Sans doute, il sera normal qu’elle soit flattée. Contradiction insoluble de la nature humaine ! Il veut l’attirer jusqu’à lui, qu’elle soit belle et resplendisse, et il redoute qu’elle voie la destinée qui s’apprête