Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/166

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Que peut l’integrité de prudence ennoblie :
Qui ses propres bien-faits plus promptement oublie :
Et qui daigne en son cœur plus long temps retenir
Des services d’autruy le constant souvenir.
Il s’en voit que les soings de l’honneur aiguillonnent
Qui vendans leurs bien-faits plustost qu’ils ne les donnent
Veulent qu’à l’advenir ceux qu’ils ont obligez
Soient des arcs triomphaux à leur gloire erigez :
Desirent qu’en leurs fronts la memoire s’en lise :
En leur donnant du bien les privent de franchise :
Et par les vains honneurs demandez pour tribut
Monstrans bien la vertu n’estre point le vray but
Que regardent les traits des desirs qu’ils enfantent,
Craignent de faire bien sans tesmoins qui le vantent,
Comme aspirants plustost à l’honneur imparfait
De sembler liberaux que de l’estre en effet.
Mais ce cœur genereux qui se plaist à bien faire,
Et qui, sans en attendre au monde autre salaire
Que le bien-faire mesme, abhorre en obligeant
D’en aller pour tribut de la gloire exigeant,
Ce qu’il donne de grace, il permet que l’on pense
Qu’il le paye au merite, ou baille en recompense,
Dissimulant plustost et cachant la splendeur
De ses illustres dons qu’en monstrant la grandeur,
Comme si sa belle ame en courtoisie extréme,
Croyoit en bien-faisant faire bien à soy-mesme.
Aussi rendant par là son merite augmenté
Fait-il tant plus fleurir l’honneur de sa bonté :
Car lors que secourant les ames oppressees
Il satisfait aux vœux de ses belles pensees,
Et l’estimant sans feinte à soy-mesme devoir,
N’en veut point de loüange en payment recevoir,
Il fait qu’elle est au ciel en lettres d’or escrite,
Et moins il la desire, et plus il la merite.