Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/185

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Et ne puis sans fremir peindre dans ma pensée
Le peril dont la France est en vous menacee
Par le fier ennemy que les armes au poing
Vostre vaillant courroux s’en va chercher si loing.
Je sçay bien quelle rage en son ame boüillonne
De voir la main d’enhaut benir vostre couronne,
Et malgré ses efforts et son trop esperer
Le sceptre des françois en vos mains s’asseurer.
Je scay que nostre crainte est sa seule esperance :
Et je crains justement qu’à l’impie arrogance
De ses desirs trompez tout espoir defaillant,
Une plus grande peur ne le rende vaillant.
Desja sent-on un bruit par les villes s’espandre
Qu’à ce coup son armee osera vous attendre,
Voyant le cœur des siens superbement enflé,
Du vent qu’en leur faveur la fortune a soufflé :
Ce que Dieu permettant, je crain pour vostre teste,
L’allant voir exposee aux coups de la tempeste, camps
D’une extresme fureur l’un l’autre se chocquans.
Mais seroit-il bien vray que l’ignoble courage
Du loup qui n’est hardy ny vaillant qu’en sa rage
Parmy les animaux desarmez et paoureux,
Peust soustenir l’assaut d’un lyon genereux ?
Non non, je me deçoy : la peur qui me commande,
Me peint de ce peril la figure trop grande :
Non, sire, le cruel ne vous attendra pas :
Il sçait trop qu’en vos mains demeure son trespas :
Il recognoist trop bien ces armes redoutees
Qu’il a dedans ses reins cent fois ensanglantees :
Il fuira, le cruel, si tost que dedans l’air,
Il verra seulement vos enseignes branler,
Et par sa fuitte encor, d’un faux tiltre couverte
Taschera d’amoindrir vostre gloire et sa perte.
Ou bien s’il vous attend, ces champs-là tous jonchez
De ses fiers regiments en pieces détranchez
Fourniront aux corbeaux de mets espouventables