Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/194

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Ramper sur les parois richement variees,
De coquilles de nacre à l’ambre mariees.
Mille et mille coraux de la roche naissants,
Et de leurs rouges bras l’un l’autre s’enlançants
Cheminent par la voûte, et lambrissants la salle
D’un superbe planché qui se courbe en ovale,
Imitent en leurs jeux les treilles des jardins,
Et leur pendent des bras des perles pour raisins.
Le luisant sable d’or qui dans pactole ondoye
D’un éclat eternel sous les pieds y flamboye :
Tout y conjoint la grace avec la majesté,
Soit ou beau de richesse, ou riche de beauté :
La mer ne celant rien d’excellent ny de rare
Dequoy ce sainct palais richement ne se pare,
Et l’œuvre monstrant bien qu’un si beau bastiment,
Fut fait par les dieux seuls pour les dieux seulement.
Aussi les flots salez dont ceste roche est ceinte,
Comme arrestez d’un frein de respect et de creinte
N’osent entrer dedans, ny le lieu visiter,
Quoy que le sueil ouvert les en semble inviter :
Ains comme se sentans indignes de l’entree,
Leur onde estant prophane et la grotte sacree,
Ils s’en retirent loin, l’enfermant tout-autour
De grands murs crystalins que transperce le jour.
Là, du plus precieux de tout l’humide empire,
Sur des tables de jaspe, à treteaux de porphyre,
En pompeux appareil et seul digne des dieux,
Le festin est dressé, quand le prince des cieux
Vient aux mers de deça visiter chez Neree
Thetis de qui l’amour rend son ame ulceree.
Or l’avoit ce jour-là, dans l’antre paternel,
La deesse honoré d’un souper solemnel,
Et ja les demy-dieux alloient lever la table,
Quand portant en son ame un dueil insupportable,