Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/225

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Tient la campagne ouverte : et comme aux pieds des monts
Où parmy des coustaux détranchez en vallons,
Plus le flot d’un torrent s’esloigne de sa source,
Plus il enfle son onde et fait bruire sa course,
S’enrichissant tousjours de quelques flots nouveaux
Que luy traine en passant le ravage des eaux :
Ainsi plus il s’avance en batant la campagne,
Plus s’accroist tous les jours le hot qui l’accompagne,
D’hommes que le desir d’un public changement,
Ou leur propre courroux luy donne incessamment.
Ce courroux, ce desir, luy font ouvrir les portes
Des bourgs et des chasteaux, et des villes plus fortes :
Peu combattent pour nous : nos yeux en fin ouverts
Découvrent tous les jours des ulceres couverts.
Nous n’oyons plus parler que de foy violee :
Tantost quelque cité s’est du tout rebellee :
Tantost quelqu’une bransle, et le sort conjuré
Nous rend tousjours ce doute un naufrage asseuré.
Bref, le courroux du ciel desormais nous appreste
La plus impitoyable et sanglante tempeste,
Qui menaça jamais le chef des grands estats,
Ou fist trembler d’effroy les plus fiers potentats.
Et ce qui nous ravit l’apparence et l’attente
De tout humain secours durant ceste tourmente,
C’est la mort qui n’aguiere a terminé le cours
Des ans de ceste royne, oracle de nos jours,
En qui seule vivoit l’art d’enchanter l’orage
Par les charmes divins qu’un esprit doux et sage
Porte dans sa parole és publiques traittez
Où l’on veut, en flattant les esprits irritez,
Monstrer une prudence és grands faits exercee,
Et de deux ennemis estre le caducee.
Vous donc qui dépeignez nos malheurs en vos fronts,
Vous qui compatissez aux maux que nous souffrons,