Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/226

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Pitoyables esprits, dont l’heur soit perdurable
Puis que vous deplorez nostre estat miserable,
Accusans avec nous la cruauté du sort,
Aydez nous à gemir et plaindre ceste mort :
Car pour plorer les maux qui d’elle auront naissance,
Le soleil ne voit pas assez d’yeux en la France.
Et vous peuples françois qui passez en malheur
Tous les peuples du monde aussi bien qu’en valeur,
Perdant par ceste mort la plus ferme colomne
Sur qui se reposast le faix de la couronne,
Jettez mille souspirs et publics et secrets,
Et faites le dueil mesme et les mesmes regrets
Que la douleur enseigne en semblable misere,
Aux enfans demeurez orphelins de leur mere.
Car je puis bien ainsi justement surnommer
Celle qui se laissoit en vivant consumer,
Au soin de rendre un jour la France soulagee
Du fardeau des malheurs dont nous l’avons chargee :
Qui d’un cœur pitoyable et vrayment maternel,
Nourrissant en son ame un desir eternel,
D’y voir florir l’olive et roüiller le heaume,
Fut mere et de nos rois et de nostre royaume :
S’exposoit aux perils pour n’en voir rien perir :
Se privoit de repos pour nous en acquerir :
Et, sage, nous estoit ce qu’est un bon pilote
À la nef qui sans ancre en la tempeste flote :
Ou ce qu’est au malade asprement tourmenté,
La main qui peut et veut luy rendre sa santé.
Jamais le ciel ne veit un plus noble courage :
Ny dans le plus parfait d’aucun mortel ouvrage
Dieu n’illustra jamais avec tant de splendeur
De royales vertus la royale grandeur.
Aussi fust-ce une estoille en clarté renommee
Qui pour guider trois rois fut ça bas allumee :
Mais de qui le bel astre a cessé d’esclairer,
Au temps que le besoin nous faisoit desirer
Que sa vie excedant sa borne naturelle,
Fust non seulement longue, ains du tout immortelle.