Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/231

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Tu n’aurois, ô belle ame, en allant au trespas,
Devancé que d’un peu la suitte de mes pas :
Et si l’aspre douleur pouvoit oster la vie,
Le jour qui lamentable a la tienne ravie,
Et qui tout mon bon-heur en ta mort a destruit,
Eust veu d’un mesme coup perir l’arbre et le fruit.
Car je vy malgré moy, voyant la vie ostee
À celle qui la mienne en naissant m’a prestee :
À celle en qui le ciel pour ma gloire a fait voir
Tout ce qu’un cœur de mere est capable d’avoir
D’amour, de passion, de soin, d’aise et de crainte
Pour le plus cher enfant dont on l’ait veuë enceinte :
À celle qui bruslant d’une eternelle ardeur
D’eslever jusqu’au ciel mon nom et ma grandeur,
Me mit entre les mains, à peine hors d’enfance,
Dessous mon frere roy la royale puissance :
À celle qui pour moy cent travaux a soufferts :
Qui foible a ses vieux ans à cent perils offerts
Pour sauver mon estat menacé de naufrage :
À celle que jamais en nul poinct de son âge,
Le soin de mon repos ne laissa reposer :
Et que mesme la mort (qui peut seule appaiser
Tous les flots des soucis tourmentans nostre vie)
Ne prive point au ciel d’une si saincte envie.
Pour lesquelles faveurs surpassans doublement
Tout espoir de revanche et de ressentiment,
Ô bel ange du ciel, je ne te sçaurois rendre
Avec ces tristes pleurs que j’espans sur ta cendre,
Qu’un regret de ta mort de qui le pesant faix
Seul égale en grandeur le poids de tes bienfaicts.
Jurant par ce respect qui sainct et perdurable
Me rendra ta memoire à jamais venerable,
Que les pleurs dont mes yeux sont maintenant lavez,
Se trouveront en moy tousjours autant privez
D’espoir de reconfort, qu’est privé de remede
Le mal d’où le ruisseau maintenant en procede :