Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/258

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Mais un heureux berceau, mais des chants d’allegresse,
À quoy nous preparoit l’espoir de la grossesse
Dont ta blesme langueur trompoit nostre desir,
Nous faisant embrasser avec joye et plaisir
Ce qui devoit en fin apres maintes allarmes,
Se terminer pour nous en un sujet de larmes.
Ainsi quelque nouvelle annonçant le retour
Des vaisseaux que le port attend de jour en jour,
Le marchant qui pipé du ris de la fortune
Les commist à la foy des vents et de Neptune,
Pour aller devestir tout un bord estranger
Des thresors dont on voit les Indes se charger,
Balance en son esprit sa richesse future,
Discourt sur le voyage, en suppute l’usure,
Prepare ses celiers, ouvre ses magazins,
Et rend desja son heur pesant à ses voisins :
Quand on luy vient conter que non loin du rivage,
Par la fureur des vents la flotte a fait naufrage :
Qu’on en voit sur la mer ondoyer les morceaux :
Et qu’en fin les thresors qui chargeoient ses vaisseaux
Espars de tous costez par la plaine azuree
Ne font plus qu’enrichir les palais de Neree.
Ah que l’esprit humain discourt ignoramment
Quand son propre desir conduit son jugement !
On croyoit que ton mal, utile à ta province,
Animoit dans tes flancs quelque genereux prince
Que l’heur et la grandeur suivroient d’un mesme pas,
Et le cruel plustost avançoit ton trespas,
Et fraudant nostre espoir donnoit tout au contraire
Non la vie à l’enfant, mais la mort à la mere.
Que ne dismes-nous point rendans graces aux dieux,
Quand un si doux abus vint essuyer nos yeux ?
Et voyans maintenant ceste menteuse fainte
Changee en tels sujets de douleur et de plainte,
Que ne disons-nous point tançans la cruauté
Du sort qui rend tes ans finis en leur esté ?
Nous nous plaignons du ciel presque avec des blasphemes :
Accusons le destin : nous accusons nous mesmes :