Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/259

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Et sans fin maudissons l’erreur de ce penser
Qui faisoit loin de toy les remedes chasser,
Et tant choyer en vain la vie encor à naistre,
Qu’on s’est rendu meurtrier par la crainte de l’estre.
Mais ces tristes effects de cuisante douleur,
Ne nous servent de rien contre nostre malheur :
Car ny te lamenter ne te rend point la vie,
Ny n’allege l’ennuy dont ta mort est suivie :
Et les pleurs que nos yeux versent incessamment
Tombent autant en vain qu’ils tombent justement.
Cependant, ny sentir qu’ils nous sont inutiles
Ne fait point nos regrets en estre moins fertiles,
Ny penser que les cieux l’ont ainsi disposé
Ne rend point pour cela nostre mal appaisé :
Car en estant la cause et si juste et si grande,
La raison parle en vain et le dueil luy commande.
Ô combien les vertus qui te faisoient aimer
Nous rendent maintenant leur souvenir amer,
Et que ces dons du ciel qui te servoient de charmes
Font sourdre en nostre cœur de souspirs et de larmes !
La royale bonté de ton cœur genereux
Nous remplit maintenant de regrets douloureux :
Ta courtoisie aigrit l’ennuy qui nous consume,
Et ta propre douceur nous repaist d’amertume :
Pensans en quel degré de faveur et de prix
Vivoient aupres de toy les excellents esprits,
Et ceux que la vertu combloit des vives graces
Qui les vont élevant d’entre les ames basses.
Les muses tous les jours pleurent s’en souvenant :
Et d’âche et de cyprés leur teste couronnant,
Monstrent par leurs souspirs combien tu leur fus chere,
Ou soit comme leur sœur, ou soit comme leur mere.
Car tu fus l’un et l’autre autant que leurs beaux arts
Le pouvoient esprouver en ce regne de Mars :
Et tantost ta faveur donnoit vie à leur gloire,
Presque les allaitant comme une autre memoire :