Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/260

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Tantost toy-mesme assise entre les lauriers verds,
Et de ton propre stile y gravant de beaux vers,
Tu te faisois paroistre une nouvelle muse
Où l’ame d’Apollon se monstroit tout’infuse.
Que s’il te plaisoit lors animer de ton chant
Le luth que sçavamment ta main alloit touchant,
Les esprits attirez sur le bord de l’oreille
Estoient sans jugement s’ils restoient sans merveille :
Et si lors Calliope eust envié ta voix,
Apollon tout de mesme eust envié tes doigts.
Je tais mille autres dons d’esprit et de courage
Qu’il pleust encor au ciel t’octroyer en partage,
Depeur d’exprimer mal leurs celestes couleurs
En un tableau tout peint de la main des douleurs :
Et diray seulement, le gravant sur ta cendre,
Que ce que ta grandeur te souloit faire rendre
De respect et plus digne et plus justement deu,
Tes vertus meritoient qu’on te le vist rendu.
Or sont pour tout jamais sur la terre eclipsees
Ces lumieres d’honneur, astres de nos pensees,
Sans espoir de les voir apres quelque saison
Esclairer de nouveau nostre humain horison.
L’impitoyable mort, la mort inexorable
A couvert leurs rayons d’une ombre perdurable :
Et l’eternel silence en fin a cacheté
Ces levres qui rendoient nostre esprit enchanté :
Ne nous restant plus rien de leurs graces estaintes
Sinon le souvenir, les regrets et les plaintes :
Piteux restes de toy, mais gardez cherement,
Et de qui si la garde apporte du tourment
Aux cœurs que tu liois d’une humble servitude,
La perte s’en verroit pleine d’ingratitude.
Face donc le destin ce que peut sa rigueur,
Tousjours ton souvenir vivra dans nostre cœur :
Car quelque amer ennuy qu’il cause à la pensee,
La fidelle memoire en sera moins blessee