Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/261

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Des douleurs dont un cœur peut estre tourmenté,
Que l’oubly n’en seroit marqué d’impieté.
Cependant, genereuse et royalle princesse,
Reçoy pour vrays tesmoins du dueil qui nous oppresse
Te voyant enfermee en la nuict du cercueil,
Ces pleurs coulans du cœur par les sources de l’oeil,
Et ces dolents souspirs que nostre ame affligee
Paye au juste devoir dont elle est obligee,
Non moins à la vertu qui fleurissoit en toy,
Qu’au tiltre glorieux de sœur d’un si grand roy
Qu’est celuy que le sang et l’heur de la naissance
T’ont octroyé pour frere, et pour pere à la France.
Si le bandeau mortel qui te couvre les yeux
Te laissoit remarquer ce qu’on fait sous les cieux,
Tu verrois ce monarque affligé de ta perte,
Ayant tousjours la bouche aux complaintes ouverte,
Et son auguste espouse, et les grands avec luy,
En vestemens de dueil se voiler tous d’ennuy :
Non par devoir sans plus ou comme par coustume,
Mais le cœur destrempé d’une vraye amertume,
Et telle que la gouste en ses plus tristes soings
Un qui se plaint soy-mesme, et pleure sans témoings.
Tu verrois d’autre part ce bon duc ton beau pere
Que la Lorraine adore, et la France revere,
Deplorant jour et nuict ta mort et son malheur,
Se monstrer non beau pere, ains pere en sa douleur.
Mais tu verrois sur tous celuy dont Hymenee
Tenoit en tes liens la vie emprisonnee,
Percé dedans le cœur du trait le plus poignant
Qui face point saigner une ame en l’attaignant,
Descouvrir par les pleurs qui baignent sa complainte
Combien sent de torments une amour chaste et sainte,
Quand de la palle mort les lamentables coups
Viennent trencher ses nœuds lors qu’ils semblent plus doux.
Tu verrois son ardeur estre encor toute flame,
Et faire prononcer des discours à son ame
Qui forceroient la Parque à te rendre le jour,
Si la mort entendoit le langage d’amour.