Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/282

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Quand tout bruslant encor du desir de ce bien,
Il se fust souvenu qu’il avoit esté sien :
Et qu’au malheur present sa dolente memoire
De sa faveur passee eust comparé la gloire.
C’est pourquoy bien qu’il fust jour et nuict tormenté
D’un extréme desir de revoir sa beauté,
La crainte des douleurs et des morts asseurees
Que ses esprits jugeoient leur estre preparees,
Moderoit son envie, et le secret duel
Qu’exerçoit en son cœur le choc continuel
De ces deux passions, luy donnoit mille attaintes
Qui luy faisoient souvent former de telles plaintes.
Malheureux que je suis, je vy seul des humains
Qui pour un juste vœu joignant au ciel les mains,
Seray du desespoir la miserable proye
Soit qu’il me le refuse, ou soit qu’il me l’octroye.
Car ce qu’amour me fait ardamment souhaiter,
Je sens au mesme instant mon cœur le redouter,
Et trouve en la douleur d’où ma plainte procede,
Egalement cruels le mal et le remede.
Ne voir point la beauté que je vois nuict et jour,
Me tuë en y pensant de desir et d’amour :
Et peut-estre la voir, et sentir la rudesse
Du trait de ses dédains me tuera de tristesse.
Las ! Si tant seulement la distance des lieux,
Et la rigueur du sort m’esloignoit de ses yeux,
Sans qu’aidant au malheur qui m’en cache la flame,
Un volontaire oubly m’esloignast de son ame,
Je serois consolé par le bien d’esperer
Que tousjours mon ennuy ne pourroit pas durer,
Et qu’en fin des saisons la suite continuë
Ou m’osteroit la vie ou me rendroit sa veuë.
Mais puis que le malheur contre moy conspirant
Va par un seul départ deux fois m’en separant,
Et qu’au mal de l’absence un autre mal s’assemble
Qui me prive et de l’oeil et du cœur tout ensemble,
Quel bien peut consoler ce triste éloignement,
Puis que mesme la voir me seroit un tourment ?