Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/283

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Ah rigoureux amour, que ma triste pensee
De contraires douleurs est par toy traversee !
Ainsi souspiroit-il quand brulant du desir
De voir celle qui fut sa peine et son plaisir,
Il se la proposoit cruelle et dédaigneuse,
Ne faire plus de cas de sa peine amoureuse,
Et craignoit qu’en voyant son malheur de plus pres,
L’object du bien perdu n’en accreust les regrets.
C’est pourquoy tout ainsi qu’une égale vaillance
Tient souvent de deux camps la victoire en balance,
Quelque temps, sans sçavoir qui resteroit vainqueur,
L’un et l’autre penser combattit en son cœur :
Jusqu’à tant que l’amour fist gaigner l’avantage
Au desir de revoir cest aimable visage,
Et ces rares beautez qui charmans mille esprits,
De tout autre plaisir leur causoient le mespris.
Car aussi bien, dit-il, puis qu’autant me tourmente
Ma cruelle deesse absente que presente,
J’aime mieux, s’il m’en faut recevoir le trespas
Mourir en la voyant qu’en ne la voyant pas.
Avec ceste parole en fureur prononcee,
Il rompit tous delais, condamnant sa pensee
D’avoir peu seulement consulter si son oeil
Iroit revoir ou non les rais d’un tel soleil.
Mais comme pour voler vers cet astre des belles,
Sa jeune impatience ouvroit desja les ailes,
Il pleut à son malheur qu’il en fust retenu
Par un prompt accident à la France advenu,
Qui de tous les liens dont se peut voir estrainte
Une ame ressentant la genereuse crainte
D’offencer son honneur, l’arresta malgré luy
Sur le lieu qu’il fuyoit pour finir son ennuy.
Dequoy souffrant en l’ame une douleur extréme,
Et laschant en courroux maint amoureux blaspheme
Contre la cruauté des destins ennemis
Luy ravissans ainsi l’heur qu’il s’estoit promis :
Pourquoy t’affliges-tu ? Luy dit son cher Aemile
Voyant sa passion en souspirs trop fertile :