Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/284

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Si voir ton ennemie est l’unique dessein
De qui l’ardeur boüillonne au milieu de ton sein,
Avant que le soleil en la mer se replonge,
Ton ame en repaistra le desir qui la ronge :
Sans qu’il te soit besoin que tu quittes ces lieux
Où te vient d’attacher la volonté des cieux,
Et sans qu’il faille aussi que pour finir ta peine
Quelque dieu favorable en ce lieu te l’ameine.
Non guere loin d’icy, dans le creux d’un rocher
Qu’il semble que les bois s’efforcent de cacher,
Il demeure une fee en charmes si sçavante,
Qu’Alcine, et Felicie, et les mages qu’on vante
Pour princes de cet art, ne semblent point avoir
En merveilleux effects surmonté son sçavoir.
J’ay veu souventefois quand aux rais de la lune,
Pieds nuds, eschevelee, et d’une verge brune
Les regions du ciel sur la terre marquant,
Tous les demons d’Erebe elle alloit invoquant,
Les ormes et les pins descendre des montagnes :
Les bleds se transporter des voisines campagnes
Sur la rive deserte, et leurs chefs demy-blonds
Ondoyer sous le vent au milieu des sablons :
Le ciel dans l’ocean secoüer ses estoilles :
Les vaisseaux sur la mer singlans à pleines voiles,
S’arrester à sa voix comme au fond attachez
Avec les croches dents de cent ancres cachez :
Bref, le secret pouvoir de sa seule parole
Aux flots estre un Neptune, aux vents un autre Aeole :
Et sur les elemens tel empire exercer,
Qu’encor tout effrayé je tremble d’y penser.
Or entre les outils sacrez aux ministeres
Dont la nymphe accomplit ses prophanes mysteres,
Un miroir pend en l’air à trois chainons dorez,
Où depuis quelques mots bassement murmurez,
On apperçoit mouvoir les obscures images
De ceux qu’on cherche à voir sous leurs mesmes visages,
Et s’ils ne dorment point au silence des morts,
En la mesme action qui les occupe alors.