Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/291

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Bien qu’avec un silence en tels maux non vulgaire,
Elle dissimulast ce desir sanguinaire,
Attendant que le temps qui tient tout en ses mains,
En offrist un sujet à ses vœux inhumains :
Et le temps qui deffait ou parfait toute trame,
En presenta bien tost ce moyen à son ame.
Adee estoit aymable, et l’accorte bonté
Dont il accompagnoit sa virile beauté,
Non sans quelques vertus en Scandie assez rares,
Le rendoient agreable aux ames plus barbares.
Mais entre les esprits que sa grace attiroit,
Celuy qui plus que tous en l’aymant l’admiroit,
C’estoit celuy d’Aimonde à toute heure charmee
Ou de sa belle voix pour les airs estimee,
Ou de son doux parler, aigu, vif, et plaisant,
Qui non empoisonné d’aucun trait médisant,
Mais plein et d’une adresse et d’une grace extrême,
Auroit peu faire rire un Heraclite mesme.
Aussi, comme embellie et de semblables mœurs,
Et de mesmes vertus, et de mesmes humeurs,
Et sans luy se trouvant d’ennuis accompagnee,
Ains ne pensant rien voir s’en voyant esloignee,
L’avoit-elle tousjours conjoint à ses costez :
Soit qu’elle tint ses pas au logis arrestez :
Soit que le promenoir, le bal, la comedie,
Ou l’heure que l’eglise aux prieres dedie,
Ou tel autre sujet qu’enfante chacun jour,
L’invitast à quitter l’ombre de son sejour.
Car luy qui comme espris d’une ardeur mutuelle
Ne goustoit point non plus de volupté sans elle,
Ne laissoit écouler nul sujet de la voir
Que l’heur de la fortune eust mis en son pouvoir :
Mais recherchoit par tout le bien de sa presence
Avec le mesme effect d’ardante impatience
Qu’un amant bien épris recherche le bel oeil
Sans qui son cœur luy semble un quadran sans soleil.
Et si, quoy que tous deux égallement aymables
Fussent et de beautez et de graces semblables,