Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/297

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D’aise de voir le ciel presenter à sa rage
Un moyen preparé pour venger son outrage :
Mais le tenant couvert sous un geste rusé
Que pour se faindre triste elle avoit composé,
Gernande, (respondit l’impie enchanteresse)
Je desplore à par moy la douleur qui te presse :
La conçoy mieux encor que tu ne la dépeins,
Et plains mesme avec toy ceux de qui tu te plains,
Pour l’heur et le repos qu’à tous trois je desire,
Et les maux qu’à tous trois ce mal semble predire.
Car le moindre malheur qui s’en puisse enfanter,
C’est de voir toute paix loing de toy s’absenter,
Tels estans ces soupçons qu’à grand peine ils s’arrachent
De l’ame où par malheur une fois ils s’attachent :
Dont il advient qu’en fin pour comble du torment,
Quand la cause en est juste, et vray le fondement,
Un grand cœur ne pouvant en faire peu de compte,
S’en venger c’est malheur, et l’endurer c’est honte.
C’est pourquoy si ton ame eust tant sceu mépriser
Ces frivoles soupçons, ou tant les maistriser
Lors qu’encor leur pouvoir estoit en son enfance,
Que bien tost leur trespas eust suivy leur naissance,
Sans leur donner toy-mesme accroissance et vigueur,
Une sage pensee eust logé dans ton cœur :
Car de les estouffer maintenant qu’ils épandent
Leur venin en ton ame et vaiqueurs luy commandent,
Ce seroit le conseil d’un esprit trop parfaict,
Et d’un plus sage advis que d’un facile effect.
Ce pendant, tu devrois y forcer ton courage,
Te monstrant en cecy moins sensible que sage :
Car quel bien ou repos te sçauroit aporter
Le hazardeux moyen que ton oeil veut tenter ?
Ma glace est bien au lieu d’un infalible oracle,
Et je prevoy qu’aussi nul odieux spectacle,
Ne s’yroit en sa face exposant à tes yeux :
Mais encor, si par sort la volonté des cieux