Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/298

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Confirmant tes soupçons permettoit le contraire,
Quel tourment se peut voir rendre la vie amere
Qui ne devint ton hoste, et forçant ta raison
Ne te fist employer le fer où le poison ?
Laisse, laisse, impudent à rechercher d’aprendre
Ce qu’il te déplairoit tant seulement d’entendre.
Mieux vaut un mal douteux qu’un torment asseuré,
Ce mal-là ne cuist point quand il est ignoré.
Avec de tels propos d’une ame apprise à faindre
Allumants en effect ce qu’ils sembloient esteindre,
Ogiere en apparence essayoit de pousser
Le desir de Gernande à quelque autre penser :
Mais s’augmentant en luy ce feu d’impatience,
Si tost qu’elle eut changé sa parole en silence,
Il redoubla ses vœux, requist et pressa tant,
Qu’elle qui pleine d’art cedoit en resistant,
Ô Gernande, dist-elle, à la fin tu me forces,
Et de ta fureur propre enflames les amorces :
Le destin ne veut pas qu’on l’importune ainsi
Souvent trop rechercher fait trop trouver aussi.
Ce dit, elle se leve, et tournee en arriere,
Vers le coing où pendoit la magique verriere,
Pour prononcer dessus les grands et puissans mots
Que ce mestier impie enseigne à ses devots :
Apres qu’elle eut trois fois du pied frappé la terre :
Par trois fois en bâillant haleine sur le verre :
Sur les bords du miroir figure quelque traits,
Bref, de tout ce mystere accomply les secrets :
Ô demons (ce dist-elle en ses plus bas murmures)
Qui dedans ce cristal exprimez les figures
De ceux dont il vous plaist vous rendre imitateurs,
Tantost en gestes vrays, et tantost en menteurs,
Vangez-moy je vous prie, emplissez la pensee
De ce Gernande icy d’une rage incensee
Qui luy porte la main au poignard impiteux,
Exposant à son oeil l’acte le plus honteux