Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/306

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Elle advoüa la fraude, et la conta d’alors
Que ses jaloux torments luy donnans mille morts,
Pour le regret d’Adee affranchy de sa chaine,
Elle avoit converty sa vive amour en haine,
Et juré de venger sur Aimonde et sur luy
L’outrage dont son cœur recevoit tant d’ennuy.
Dessein à quoy Gernande avoit par sa priere
Presté la main luy-mesme et fourny de matiere,
Luy se donnant en proye aux demons enchanteurs,
(un esprit si credule à de tels imposteurs)
Et la fortune adonc mettant en la puissance
D’une amante outragee, et qui crioit vengeance,
La vie, et l’honneur mesme ainsi comme captif,
De sa propre rivale, et de son fugitif.
Ces discours entendus, les plus severes ames
Condamnerent sa vie au supplice des flames :
Mais celles où logeoit un peu plus de douceur,
Et celles dont l’amour s’estoit veu possesseur,
Sçachant à quels excez ceste fiebvre nous meine,
Destinoient à sa faute une plus douce peine :
Peut-estre par respect d’un reste de beauté
Qui n’estant point encor par l’âge surmonté,
Vivoit en son visage, en sa taille en son geste,
Et la faisoit trouver sorciere manifeste
Plustost des jeunes cœurs charmez de son regard,
Que des credules yeux abusez par son art,
Et plus digne du feu que l’amour fait éprendre,
Que du feu punisseur qui met les corps en cendre :
Encor que les couleurs dont le sexe se peint
Monstrassent d’avoir part à l’éclat de son teint.
Mais ce parlant combat de jugemens contraires
Fist chocquer peu de temps les doux et les severes :
Car sur l’aube suivante, ou soit que la douleur
N’eust pas peu la laisser survivre à son malheur :
Ou soit que les demons, pour leur dernier service,
L’eussent ainsi soustraite aux rigueurs du supplice,
Elle se trouva morte au sein de la prison,
Sans marque de cordeau, de fer, ny de poison :