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Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/75

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Il commence d’estre homme, et reste tousjours Dieu,
Cachant pour nostre bien dedans ce pauvre lieu
L’admirable grandeur de son pouvoir supréme :
Et se rendant si foible, et demeurant si fort,
Il vient homme impuissant pour endurer la mort,
Et vient tout-puissant Dieu pour tuër la mort mesme.

Quel esprit peut comprendre et quelle voix chanter,
Combien sa main voulant le peché surmonter
Faict voir icy d’effects d’admirable puissance ?
Fut-il onc un miracle à cestuy-cy pareil,
Où l’on voit une Estoille enfanter un Soleil,
Une Vierge accoucher, un Dieu prendre naissance ?

Un Dieu prendre naissance, et se rendre mortel,
Ains se rendre victime, et s’offrir à l’autel,
Afin de nous donner son propre sang à boire ?
Comme un nouveau Decie au trespas s’avançant
Pour le commun salut du monde perissant,
Afin que de sa mort naisse nostre victoire ?

Ô Dieu que tes bontez font d’estranges effects !
Et qu’ingrat est celuy qui de tant de bien-faits
L’eternel souvenir dans son ame n’engrave !
Tu t’asservis à l’homme afin de l’affranchir,
Tu t’appauvris toy-mesme afin de l’enrichir,
Par la mort de ton Fils rachetant ton esclave.

Quel est nostre merite, ô puissant Roy des Roys,
Que tu viennes livrer aux douleurs de la Croix
Ton Fils Dieu comme toy pour l’homme miserable ?
Vas-tu point preferant, par trop grande amitié,
À ta saincte justice une injuste pitié,
Condemnant l’innocent pour sauver le coulpable ?

Ah ! Seigneur ja n’avienne ! à jamais ta bonté,
Conservant de ses faits l’admirable beauté,
Fera voir ta justice unie à ta clemence :
Mais comme de tes loix tout desordre est banny,
Aussi sont tes conseils un abysme infiny,
Que ne sçauroit sonder nulle humaine prudence.