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Page:Berthelot - Les origines de l'alchimie, 1885.djvu/46

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LES ORIGINES DE L'ALCHIMIE

corrompt l'homme. Aussi les esprits mystiques ont-ils toujours eu une certaine tendance à regarder la science, et surtout la science de la nature, comme sacrilège, parce qu’elle induit l'homme à rivaliser avec les dieux. La conception de la science détruit, en effet, celle du Dieu antique, agissant sur le monde par miracle et par volonté personnelle : « C’est ainsi que la religion, par un juste retour, est foulée aux pieds ; la victoire nous égale aux dieux ! » s'écrie Lucrèce avec une exaltation philosophique singulière[1]. « Ne crois pas cependant, ajoute-t-il, que je veuille t’initier aux principes de l’impiété et t’introduire dans la route du crime[2]. »

Par suite de je ne sais quelles affinités secrètes entre les époques profondément troublées, notre siècle a vu reparaître la vieille légende, oubliée depuis seize cents ans. Nos poètes, A. de Vigny, Lamartine, Leconte de Lisle, l’ont reprise tour à tour. Dans Eloha, A. de Vigny ne dit qu'un mot :

Les peuples déjà vieux, les races déjà mûres
Avaient vu jusqu'au fond des sciences obscures.

Mais Lamartine, dans la Chute d’un Ange, a serré de plus près le mythe. Il nous décrit la civilisation grandiose et cruelle des dieux géants, leur corruption, leur science, leur art des métaux :

Dès mon enfance instruit des arts mystérieux
Qu’on enseigne dans l’ombre aux successeurs des dieux…

  1. Quare relligio pedibus subjecta vicissim
    Obteritur ; nos exœquat Victoria cœlo.

     (Lucrèce, De natura rerum, 1. I.)

  2. Illud in his rebus vereor ne forte rearis
    Impia te rationis inire elementa, viamque
    Endogredi sceleris…