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colline de la Croix-Rousse qu’éventait sans cesse un souffle de révolution. Madeleine et Antoine, jeunes époux de condition égale, mi-ouvriers mi-bourgeois, appartenaient à cette classe intermédiaire que possèdent seules les grandes villes industrielles. Ils avaient eu deux enfants, deux fils, — deux « gones » — comme on disait ici, que Madeleine avait nourris et qui grandissaient à plaisir. Le dimanche on allait se promener sur les bords de la Saône ou du Rhône ; en semaine, Antoine surveillait l’atelier, tandis que Madeleine suffisait aux soins de la mai son. On était heureux.

Dans un coin de la chambre se trouvait le métier de Clair Brichard, le père d’Antoine. Celui-là avait été d’abord un simple canut, à l’âme douce et pacifique. C’était l’époque où le tisseur se contentait encore d’un salaire de trois francs pour une jour née de douze heures. On mangeait mal et on se taisait. Parfois le souffle de révolution qui balayait la colline enflammait quelque étincelle ; l’âme collective de ces hommes devenait farouche ; il y avait des journées tragiques ; on prenait le drapeau rouge et on descendait vers l’Hôtel de Ville ; puis le calme se refaisait ; on n’entendait plus dans les ruelles de la Croix-Rousse que le bruit monotone, haletant, infatigable des navettes. Malgré cet état peu for-