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LA MINE D’OR.

et moi, de nous trouver ainsi l’un et l’autre dans quelque tranquille retraite, et votre projet comble tous nos vœux. Seulement, sur un point, il me paraît impossible à réaliser : monsieur de Blanchefort ne consentira jamais à nous recevoir en grâce.

— Le croyez-vous ? Quels sont donc les motifs les plus sérieux de son refus ?

— Je vous l’ai dit, il est avare, et la principale objection qu’il ait faite à ma demande en mariage a été que ma terre et mon château de Peyras se trouvaient entre le mains de mes créanciers. Si je n’avais pas dissipé en folies de jeunesse la plus grande partie de mon patrimoine, peut-être eussé-je obtenu la main de ma chère Ernestine.

— Allons ! nous arrangerons tout cela, dit Martin-Simon en souriant, nous finirons par persuader ce vieillard intraitable, qui sacrifie sa fille à une raison d’intérêt. D’ailleurs, nous allons lui forcer la main. Vous sentez bien, mes enfans, que je ne puis recevoir ainsi chez moi un jeune homme et une jeune fille dont la position est aussi irrégulière que la vôtre. Quel exemple pour ma pauvre Margot ! Vous continuerez donc à passer pour frère et sœur vis-à-vis d’elle jusqu’à ce que je vous aie bien et dûment mariés, et cela ne tardera pas, je vous le promets.

— Oh ! vous prévenez mon désir le plus cher ! s’écria Ernestine d’un ton plein de reconnaissance ; je ne veux plus avoir à rougir devant personne, et je sens que je ne saurais supporter longtemps la honte qui m’accable.

— Mais sans doute, dit le chevalier, il sera bien difficile de trouver un prêtre assez hardi pour nous marier sans les formalités d’usage et sans l’assentiment de nos deux familles.

— Je m’en charge, dit Martin-Simon résolument ; ne craignez rien, monsieur le chevalier, tous les révérends pères de ce couvent sont à mes ordres… Mais laissons cela pour le moment… Notre absence a été longue, et elle pourrait donner quelques soupçons au procureur Michelot ou à ses estafiers. Je vais descendre au réfectoire et faire acte de présence au souper. Soyez disposés à partir demain matin au lever du jour ; il faut que nous soyons déjà loin lorsque les gens de justice pourront songer eux-mêmes à se mettre en route. J’aurai soin de parler au frère servant, afin que les chevaux soient prêts de bonne heure et que nous n’éprouvions aucun retard.

Le chevalier se leva, déposa un baiser sur le front d’Ernestine, et se prépara à suivre son exigeant ami dans la cellule qui lui était destinée. Martin-Simon regarda la jeune fille avec bonté.

— Mon enfant, ajouta-t-il en souriant, prenez courage. Je veillerai sur vous.

— Oh ! soyez béni, monsieur, dit mademoiselle de Blanchefort avec attendrissement en lui pressant les mains ; vous m’avez ouvert les yeux sur ma faute et vous ne m’avez pas accablée de votre mépris ; vous avez eu pitié de ma faiblesse, vous m’avez relevée à mes propres yeux en me faisant entrevoir le prix du repentir… Dès cet instant, je vous donne sur moi les droits d’un père sur sa fille, et je me ferai gloire de vous obéir aveuglément.

Les deux hommes se retirèrent enfin pour laisser mademoiselle de Blanchefort prendre un peu de repos. Une heure après, le calme le plus profond régnait dans l’intérieur de l’hospice, où tout le monde semblait dormir, malgré les mugissemens de la tempête.

Le lendemain, aux premières lueurs du jour, lorsque la cloche du couvent sonna matines, le montagnard tenant à la main une lanterne sourde et portant sous son bras la lourde valise dont nous avons parlé, vint frapper doucement à la porte des deux jeunes gens et les avertit à voix basse que le moment du départ était arrivé. Bientôt après, Marcellin et Ernestine sortirent de leurs cellules, complètement équipés et chargés de leurs bagages. L’un et l’autre, en s’apercevant, allaient échanger quelques paroles affectueuses, lorsque Martin-Simon fit un geste impérieux :

» — Paix ! murmura-t-il en désignant un corridor voisin ; ils sont là, et cet enragé procureur n’est pas si mal qu’il ne puisse monter à cheval et nous poursuivre au moindre soupçon… Gardez le plus grand silence et partons.

Ils descendirent lentement et avec précaution l’escalier qui conduisait à la salle basse. Ils trouvèrent dans le parloir le père prieur, vieillard d’un aspect vénérable et distingué, qui leur offrit poliment quelque nourriture disposée à la hâte sur une petite table à côté du feu. Martin-Simon les engagea, malgré sa précipitation, à accepter cette offre, car ils ne devaient plus s’arrêter jusqu’à son village. Pendant ce temps, il se mit à charger les valises sur les chevaux qui attendaient déjà sous le porche. Il rentra et remercia le prieur de sa diligence.

— Mon fils, dit le vieux moine avec l’accent du plus grand respect, vous êtes un des bienfaiteurs de notre maison, et vous savez qu’ici vous avez droit plus que personne à l’obéissance.

— Je vous remercie, mon père ; mais souvenez-vous bien de ma recommandation : retenez ici cet homme de loi et ses cavaliers aussi longtemps que vous le pourrez. Il faut encore, s’ils vous questionnent, que vous ne démentiez pas l’histoire que vous m’avez entendu leur débiter à propos de mes prétendus neveux…

— Prenez garde, dit l’hospitalier avec une sorte de honte, que vous m’ordonnez de confirmer un mensonge ; j’ai passé toute la nuit dernière en oraison pour faire pénitence de l’assentiment que j’ai été forcé de donner hier à vos paroles.

— La fin justifie les moyens, reprit Martin-Simon en souriant ; il s’agit d’une bonne œuvre, mon révérend père, et vous ne devez pas craindre de vous y associer. Le moine le saisit par le bras et l’entraîna à quelque pas, en murmurant d’une voix basse et étouffée :

— Ne cherchez pas à me tromper par un sophisme ; j’ai commis une grande faute, mon fils, je le sais, en me faisant l’auxiliaire du mensonge ; mais souvenez-vous du motif qui me pousse à affronter le péché ; si, au péril de mon âme, je cherche à capter votre faveur, c’est que j’espère qu’au moment où Dieu vous appellera à lui, vous voudrez bien faire don à cette pieuse maison…

Martin-Simon laissa échapper un geste d’impatience.

— Je vous ai déjà dit, père prieur, répondit-il avec humeur, que vous étiez dans une grave erreur en ce qui me concerne, et qu’il m’était impossible de flatter vos bizarres espérances… Mais nos jeunes gens ont fini leur léger repas, et il est temps de partir.

Le prieur, avant de laisser sortir les étrangers, les conduisit devant le grand crucifix qui était le principal ornement du parloir. Il s’agenouilla dévotement lui-même ; Ernestine et Martin-Simon se signèrent, pendant que le chevalier de Peyras s’inclinait légèrement pour la forme. Cette cérémonie religieuse terminée, les hôtes du Lautaret se disposaient à prendre congé, lorsque le vieux moine leur fit faire une nouvelle station devant le tronc qui était scellé dans la muraille, près de la porte, et balbutia quelques mots latins ; les voyageurs comprirent que c’était un appel à leur charité.

Marcellin s’empressa de porter la main à la poche de sa veste, et, autant par générosité naturelle que par le désir peut-être de s’assurer la bienveillance des hospitaliers, il tira deux pièces d’or qu’il plaça ostensiblement dans le coffre. Le prieur s’inclina, mais ne donna aucune marque d’étonnement, comme le chevalier l’attendait peut-être en raison de la valeur de l’offrande.

Pendant ce temps, Martin-Simon semblait chercher sa bourse de l’air d’un paysan avare qui s’exécute à regret pour payer son écot ; il réunit dans sa main ce qu’il put trouver de monnaie dans ses poches, et vida le tout dans le tronc de l’hospice. Malgré les précautions qu’il prit pour cacher la valeur de son aumône, le reflet d’une lampe et le son du métal le trahirent : c’était une poignée d’or que ce singulier paysan venait de verser dans la boîte aux offrandes.