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ROMANS CHOISIS. — ÉLIE BERTHET.

Le chevalier examina rapidement les localités afin de reconnaître si elles ne lui présenteraient pas quelques moyens d’échapper à ses ennemis. Mais il s’aperçut aussitôt de l’inutilité de ses recherches ; à droite et à gauche s’élevaient des rocs escarpés, devant lui s’enfonçait en serpentant le chemin ou plutôt le sentier qui conduisait chez Martin-Simon.

— Monsieur le maître d’école, reprit-il avec une grande présence d’esprit, combien y a-t-il d’ici au village ?

— Virgile a dit…

— Répondez ! s’écria impérieusement le jeune homme en regardant par-dessus son épaule les cavaliers qui gagnaient du terrain.

— Une demi-lieue environ.

— Vous pouvez la faire en une demi-heure… Allez bien vite annoncer à monsieur Martin-Simon que le moment est venu de nous donner les secours efficaces qu’il nous a promis… On nous poursuit, vous le voyez.

— Eh ! que voulez-vous qu’il fasse contre les cavaliers de la maréchaussée ? demanda naïvement le magister.

— Se serait-il donc vanté d’un pouvoir qu’il n’a pas ? s’écria le chevalier avec un mélange de terreur et de colère ; n’importe, partez vite… et vous, Ernestine, suivez cet homme. Je vais tâcher de les retenir ici pendant quelques instans, et peut-être les secours arriveront-ils à temps pour moi-même.

— Marcellin ! s’écria la jeune fille avec énergie, je ne vous quitterai pas. Si nous devons retomber entre leurs mains, de grâce, ne tentez aucune résistance. Marcellin, songez…

— Eh bien ! drôle, vous êtes encore là ? dit le chevalier avec colère en levant son fouet sur le pauvre maître d’école, qui restait tout ahuri au bord du chemin. Allez dire à celui qui nous a conduits ici qu’il arme tout le village et qu’il vienne bien vite à notre aide.

Eusèbe se décida à s’enfuir de toute sa vitesse, autant pour échapper aux mauvais traitemens dont le menaçait l’impétueuxjeune homme que pour remplir sa mission.

— Suivez-le ! s’écria Peyras d’un ton suppliant ; au nom du ciel, Ernestine, laissez-moi seul ici. Votre présence embarrassera mes mouvemens et m’ôtera tout mon courage.

— Je reste, murmura la jeune fille ; oubliez-vous, Marcellin, que rien ne peut nous séparer désormais ? Pendant ce rapide dialogue, ils pressaient leurs montures autant que possible, et le chevalier de Peyras regardait toujours autour de lui si les localités ne seraient pas plus favorables qu’auparavant au projet de fuite qu’il méditait. Malheureusement, plus on avançait plus la contrée devenait rude et difficile. Les voyageurs se trouvaient en ce moment sur une espèce de corniche, bordée d’un côté par une montagne à pic, de l’autre par un abîme profond, célèbre dans le pays sous le nom de gouffre de la Grave, et dont la vue seule donnait le vertige ; il semblait impossible que les poursuivans et les poursuivis ne fussent pas avant peu côte à côte.

Michelot et ses acolytes gagnaient en effet du chemin ; bientôt les jeunes gens furent à portée d’entendre la voix du procureur qui disait avec colère :

— Ce sont eux, je garantis que ce sont là les drôles qui se sont si bien moqués de moi hier au soir… Mais cette fois ils ne m’échapperont pas ! Je n’ai plus de fièvre, quoique ce frocard de moine ait cherché à me persuader le contraire, et il ne sera pas facile de me donner le change.

Ces paroles prouvaient que le procureur n’était pas aussi bien instruit qu’on l’avait craint, et qu’il avait seulement des soupçons. Aussi Marcellin eut-il la pensée de payer d’audace et d’affronter un interrogatoire. Mais il connaissait trop bien de réputation la perspicacité de maître Michelot pour essayer de ce moyen à moins d’y être rigoureusement forcé, surtout lorsqu’il entendit un des cavaliers de la maréchaussée dire avec rudesse :

— Est-ce que vous avez remarqué, monsieur, que celui qui les accompagnait à pied s’est mis à détaler lestement dès qu’il nous a aperçus ?… Cela est louche. Que ces gens-là soient ou non ceux que vous cherchez, il faut que nous leur voyons un peu le blanc des yeux. Ils m’ont tout l’air de gibier de prison, avec leur cache-fripon et leurs chapeaux rabattus ! — Puis élevant la voix, il s’écria avec force : — Holà ! messieurs, un moment, je vous prie ; on a un mot à vous dire de ce côté.

Les fugitifs ne se retournèrent pas et continuèrent leur route, comme si le bruit des pas des chevaux sur le rocher les avait empêchés d’entendre cet ordre.

— Au nom du ciel ! Ernestine, reprit Peyras à demi-voix, ne vous obstinez pas à rester ici ; à quoi vous servira ce dévouement mal entendu ? Croyez-vous que si nous tombons entre leurs mains, leur premier soin ne sera pas de nous séparer ? Consentez à prendre un peu d’avance pendant que je les arrêterai ici. Ne craignez pas que l’on m’entraîne hors du pays avant qu’on se soit assuré de vous ; Michelot n’est pas homme à se contenter de la moitié de sa proie ; en me reconnaissant, il vous devinera sous votre déguisenient, il se mettra à votre poursuite, et pendant ce temps on pourra venir à notre secours.

Ces paroles décidèrent enfin mademoiselle de Blanchefort à prendre le seul bon parti que pouvaient suggérer les circonstances.

— Je cède, Marcellin, dit-elle avec émotion ; je cours au-devant de notre ami le montagnard ; mais, par grâce, pas de violence !

— Partez, partez, répéta le chevalier.

Ernestine lança son cheval en avant, tandis que Marcellin ralentissait l’allure du sien. Au détour du sentier, elle adressa un signe mélancolique au jeune homme et disparut rapidement.

Dès qu’ils s’aperçurent de cette manœuvre, les autres poussèrent des cris de menace et ordonnèrent impérieusement aux fugitifs d’arrêter. Tout à coup Marcellin, comme s’il eût voulu obéir à cet ordre, fit volte-face, se plaça de manière à barrer le chemin, et tirant un pistolet ! de sa ceinture, il cria aux gens de justice, qui n’étaient plus qu’à une courte distance :

— Si vous avancez d’un pas de plus, vous êtes morts ! Cette menace, faite d’un ton ferme et qui annonçait une sérieuse détermination, n’eût peut-être pas suffi pour intimider les cavaliers de la maréchaussée, mais elle eut un plein effet sur le procureur, qui retint la bride à son cheval et ordonna aux gendarmes de l’imiter.

— À quoi pense cet écervelé, s’écria Michelot, d’oser ainsi résister à la force publique ? Voyons, mon garçon, pas de folle témérité ! consentez seulement a répondre franchement à nos questions, et je vous promets qu’on ne sera pas trop sévère pour vous, dans le cas où vous ne vous trouveriez pas tout à fait en règle avec la loi. Certes, le procureur était de bonne composition, mais le chevalier ne crut pas qu’il fût temps encore d’en venir aux explications. Il jeta un regard rapide derrière lui, et répéta de sa voix menaçante :

— Si vous faites un pas de plus, vous êtes morts ! Le procureur, dont le visage pâle et les vêtemens en désordre rappelaient encore la terrible secousse de la veille, se redressa tout à coup sur sa selle, ses joues se colorèrent.

— Par tous les diables ! s’écria-t-il gaiement, je connais cette voix ! ou je me trompe fort, ou ce sacripant-là n’est autre que le chevalier de Peyras.

— En avant, donc ! dirent les gendarmes.

Mais au premier mouvement qu’ils firent pour lancer leurs chevaux, Michelot vit la gueule du fatal pistolet se tourner vers lui.

— Un moment, un moment, s’écria-t-il avec effroi ; le chevalier a mauvaise tête, et il le ferait comme il le dit… Laissez-moi parlementer avec lui et essayer les moyens de persuasion avant d’en venir aux extrémités.

Les gendarmes se décidèrent avec répugnance à rester immobiles. Le procureur toussa et prit un air majestueux,