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LA MINE D’OR.

comme pour faire un long discours devant une cour de justice.

— J’espère que monsieur le chevalier, dit-il en s’inclinant, comprendra l’inutilité de la résistance, et qu’il ne m’obligera pas à employer, pour m’emparer de sa personne, comme j’y suis autorisé, des moyens qui me répugnent autant qu’à lui. Je puis assurer monsieur le chevalier qu’il sera traité avec toute la déférence que mérite un homme de sa condition.

Le procureur se tut et attendit une réponse ; Marcellin resta dans la même attitude et répéta du même ton qu’auparavant :

— Si vous faites un pas de plus, vous êtes morts ?

— Voilà une assez sotte logique, dit le légiste en s’agitant avec anxiété sous l’arme redoutable dirigée contre lui ; mais voyons, monsieur de Peyras, cessez de pareilles bravades ; je sais bien que vous êtes incapable de faire du mal à un honnête homme qui remplit son devoir.

— Vous un honnête homme ? s’écria Marcellin d’une voix irritée. N’est-ce pas vous qui avez détourné monsieur de Blanchefort, votre patron, de me donner sa fille. Si j’ai été obligé de m’enfuir avec celle que j’aime, n’est-ce pas vous qui en êtes cause, vous que je trouve maintenant porteur d’un ordre pour m’arrêter ? Prenez garde, Michelot, d’éveiller trop vivement mes souvenirs, car votre vie ne tient plus qu’à un mouvement de ma main !

Les injures parurent produire moins d’impression sur Michelot que le pistolet toujours braqué sur lui. Il tremblait qu’un mouvement convulsif du chevalier ne fît partir la détente, et de grosses gouttes de sueur perlaient sur son front. Il n’osait pas donner l’ordre aux agens de la force publique de faire leur devoir ; mais il n’eût pas été fâché qu’ils prissent l’initiative ; les gendarmes le comprirent.

— Il faut en finir, dit l’un d’eux en détachant la carabine suspendue à l’arçon de sa selle.

Son camarade l’imita, et au même instant, comme pour ne pas être en reste de moyens de défense, Marcellin releva son manteau, qui pouvait l’embarrasser dans la lutte, saisit entre ses dents la bride de son cheval, et arma sa main gauche d’un second pistolet.

Les cavaliers de la maréchaussée regardèrent tranquillement ces démonstrations menaçantes ; mais le procureur, se glissant à bas de son cheval, se mit à couvert derrière sa monture.

— Au nom du roi, bas les armes et retirez-vous !

Marcellin ne pouvait parler, mais il agita ses pistolets d’un air de défi.

Le sang allait être versé peut-être, lorsqu’une troupe de montagnards parut tout à coup dans le défilé, et une voix forte et impérieuse s’écria derrière Marcellin :

— Bas les armes, tous ! malheur à celui qui portera le premier coup !

Cet ordre était donné par une personne qui semblait avoir l’habitude de commander. Les cavaliers redressèrent leur carabine, Peyras plaça un de ses pistolets à sa ceinture, sans abandonner l’autre par un reste de précaution, et tous regardèrent la troupe qui s’avançait rapidement vers eux. Le procureur se montra fièrement au milieu du chemin dès que la guerre parut un moment suspendue.

Le personnage qui intervenait si à propos pour Marcellin n’était autre que Martin-Simon. Il était à pied, et il portait le costume que nous connaissons déjà ; seulement, il avait remplacé son manteau de voyage par un de ces petits collets noirs qui étaient alors le signe de l’autorité dans les campagnes, comme aujourd’hui l’écharpe municipale.

Mais le digne homme avait douté peut-être de l’efficacité de ce vêtement officiel, car il avait pris soin de se faire accompagner par une vingtaine de robustes paysans, qui n’avaient pour armes que des bâtons ferrés et quelques outils de labourage, mais qui n’en paraissaient pas moins de force à exécuter les ordres de leur chef.

À la vue de ce renfort, le chevalier de Peyras se décida à mettre pied à terre ; se croyant sauvé, il alla au-devant de Martin-Simon, et lui tendit la main pour le remercier du secours qu’il lui portait. Mais, à son grand étonnement, son protecteur repoussa sa main et s’avança gravement vers le procureur, qui l’attendait avec non moins de gravité.

— Monsieur, dit Michelot, dès que Martin-Simon fut à deux pas de lui, si vous êtes, comme vous le paraissez, l’officier de justice de cette localité, je vous somme de me prêter main-forte pour… Miséricorde ! s’interrompit-il brusquement, c’est mon homme d’hier au soir, c’est le complice du chevalier !

— Oubliez ce que j’étais hier au soir, dit le montagnard avec dignité ; aujourd’hui je suis le bailli du village du Bout-du-Monde, sur les terres duquel nous nous trouvons, et j’ai le droit de vous demander en vertu de quel mandat vous agissez ?

— Ah ! c’est vous ?… dit Michelot en souriant sans répondre immédiatementà la question qui lui était adressée. Eh bien ! confrère, sans rancune ; on ne pouvait vous forcer de répondre aux questions que je vous adressais, et si j’avais deviné que vous étiez de l’état… Mais, enfin, n’en parlons plus. Aujourd’hui, je suis dans mon droit en arrêtant le chevalier de Peyras que voici, en vertu d’un ordre dont je suis porteur, et vous requiers de me prêter votre assistance.

— Sans doute, monsieur, je ne vous la refuserai pas si votre mandat est en règle. Je vous prie donc de me le montrer, après quoi nous pourrons agir de concert. Le chevalier fronça le sourcil.

— Auriez-vous la pensée de m’abandonner ? murmurat-il à l’oreille de Martin-Simon. Vrai Dieu ! vous êtes-vous joué de moi ?

Le bailli du Bout-du-Monde prit gravement le papier que lui tendait Michelot, le parcourut d’un coup d’ceil et le rendit en souriant.

— Je m’en doutais, reprit-il, ce mandat n’est pas en règle, et je ne souffrirai pas qu’on l’exécute sur le territoire de ma juridiction.

Michelot se troubla ; il savait mieux que personne ce qui manquait au mandat, mais il avait espéré en imposer à un pauvre juge de village, et il s’écria du ton d’une fausse colère :

— Que signifie ceci, monsieur le bailli ? me croyez-vous assez ignare, moi, procureur près du présidial de Lyon et un des plus anciens du métier, pour me charger d’un ordre qui ne serait pas dans les formes voulues par la coutume de Bordeaux ? Vous avez mal lu sans doute ; examinez donc, rien n’est plus clair « Ordre à maître Théobalde-Ignace Michelot, à ce délégué par les présentes, d’arrêter partout où il les trouvera la demoiselle Ernestine de Blanchefort et le chevalier Marcellin de Peyras… mandons et ordonnons, etc. » Que diable ! il n’y a rien à dire, et prenez garde, monsieur le bailli, à la responsabilité qui pèsera sur vous si vous m’empêchez de me saisir de la personne de monsieur de Peyras, ou si vous donnez asile et protection à mademoisellede Blanchefort !

Malgré l’assurance de Michelot, Martin-Simon ne parut pas ébranlé.

— Il ne sera pas si facile que vous le pensiez peut-être, reprit-il avec malice, de me faire prendre le change, maître Michelot. Hier au soir, à l’hospice du Lautaret, je n’avais pas qualité pour m’informer de quel droit un simple procureur tel que vous se trouvait chargé d’opérer des arrestations, et j’ai dû recourir à la ruse pour protéger ceux que vous poursuiviez ; aujourd’hui, il n’en est plus de même, et si vous êtes un aussi habile homme de loi que vous le dites, vous ne devez pas ignorer que ce mandat d’amener est seulement exécutoire sur le territoire du ressort du présidial de Lyon ; que hors ce territoire il est de nul effet ; qu’enfin, pour qu’il soit valable ici, dans le Dauphiné, sur les terres du bailliage du Bout-du-Monde, il faut au moins qu’il soit muni du pareatis du président du parlement de Grenoble, dont nous ressortissons ; et