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ROMANS CHOISIS. — ÉLIE BERTHET.

procureur en souriant malicieusement ; mais il m’a fait promettre le secret.

On arriva dans la maison même de Martin-Simon. Elle s’élevait près de l’église, adossée à l’immense rocher qui préservait le village de la chute des avalanches dans la mauvaise saison. Elle était un peu plus grande que les autres, mais elle ne semblait ni plus somptueuse ni plus élégante. La façade s’ouvrait sur une espèce de petite place taillée presqu’entièrement dans le roc et qui servait de lieu d’assembléele dimanche aux habitans du vallon. De chaque côté de la façade, une muraille qui atteignait la hauteur du premier étage soutenait une terrasse sur laquelle prospéraient de beaux arbres fruitiers. Le roc lisse et poli dominait, par derrière le bâtiment, la terrasse, les arbres, et s’élançait perpendiculairement comme une immense tour.

La plupart de ceux que l’on avait rencontrés en traversant le hameau, soit par curiosité, soit pour faire honneur à leur bailli, avaient suivi le cortège ; aussi, lorsque l’on arriva dovant l’habitation, cette troupe nombreuse produisît-elle sur la place un tumulte inaccoutumé. Aussitôt la porte de la maison s’ouvrit, et une grande jeune fille brune, aux dents blanches, aux yeux bleus, à la physionomie douce, mais froide, parut sur le seuil. Tous les gens du pays portèrent la main à leur chapeau.

— Voici ma fille, dit Martin-Simon avec complaisance, en désignant la jeune villageoise aux voyageurs, voici ma bonne Margot !

Les traits de Marguerite Simon étaient corrects et réguliers, quoique hâlés par l’action du soleil et du grand air, Ses proportions étaient nobles, et en général toute sa personne attestait cette pureté de sang, cette vigueur de constitution qu’on admire tant dans les femmes du Piémont et de la Savoie. Elle avait un air sérieux et réfléchi qui seyait merveilleusement à son visage ; son port était grave, presque majestueux, et l’on savait dans le pays que son caractère ne démentait pas sa physionomie. On disait qu’elle était bonne et compatissante pour les autres, mais d’une inflexibilité dans ses principes qui allait jusqu’au puritanisme ; elle parlait peu, mais chacune de ses paroles était frappée au coin de la raison et de la vérité. De plus, Marguerite, ou Margot, comme son père l’appelait familièrement, joignait à toutes ces belles qualités des natures primitives une instruction solide que lui avait donnée le pauvre magister si enthousiaste de Virgile, et un jugement sûr qu’elle tenait de Martin-Simon.

Son costume était simple et sans ornemens. Elle portait un casaquin de bure brune, dont le jupon court, rayé de rouge et de noir, laissait voir ses bas à coins brodés. Elle avait sur la tête un de ces chapeaux de paille qu’ont si étrangementembellis les bergères d’opéra, et qui dans sa simplicité ne manquait pas de grâce. Mais rien dans son extérieur ne révélait cette coquetterie qu’on pardonne si volontiers aux jeunes filles. Marguerite ne semblait pas se douter qu’elle était belle et que l’arrangement des plus simples vêtemens pouvait ajouter quelque chose à sa beauté. Elle était trop fière sans doute pour laisser soupçonner en elle ces frivoles instincts de femme, ou peut-être en était-elle dépourvue. Enfin, le caractère général de sa personne était plutôt la noblesse que la grâce et la naïveté.

Marguerite enveloppa les deux inconnus d’un regard pénétrant et rapide, pendant qu’ils descendaient de cheval, mais en voyant les yeux de Marcellin se diriger de son côté, elle rougit et baissa la tête. Martin-Simon courut à elle.

— Eh bien ! demanda-t-il avec précipitation, est-il venu ?

— Pas encore, mon père, murmura la jeune fille.

La figure de Martin-Simon s’éclaircit.

— Espérons qu’il ne viendra pas, reprit-il ; sa présence nous gênerait singulièrement en ce moment… Mais, dis-moi, ma chère enfant, as-tu suivi mes ordres à l’égard de cette dame étrangère ? as-tu pris soin qu’elle ne manquât de rien ?

— J’ai fait de mon mieux, mon père ; mais elle est bien inquiète au sujet de…

Elle s’arrêta et sembla chercher timidement quel était celui des deux voyageurs qui excitait les inquiétudes d’Ernestine.

— Enfin nous voici sains et saufs, reprit le roi du Pelvoux en souriant ; je pense que toi aussi, ma chère Margot, tu avais à mon sujet des inquiétudes, mais te ne voudras pas en convenir, petite orgueilleuse… Allons, rassure-toi ; tout s’est passé pour le mieux, et il est résulté de ce conflit que nous avons trois hôtes au lieu de deux.

En même temps il se détourna légèrement, comme pour présenter à sa fille les deux voyageurs, qui s’avançaient vers elle après avoir abandonné leurs chevaux à une espèce de domestique.

— Qu’ils soient les bienvenus l’un et l’autre dans notre maison, dit Marguerite en s’inclinant avec une dignité naturelle.

Michelot et surtout le chevalier se confondaient en politesses. Mais l’honnête Martin-Simon poussa doucement Marcellin vers sa fille, en disant avec familiarité :

— Allons, pas tant de cérémonies ; nous sommes de bonnes gens, nous. Chevalier de Peyras, embrassez votre… embrassez Marguerite.

Le gentilhomme, attribuant aux mœurs simples en patriarcales du pays ce qu’il y avait d’insolite dans cette invitation, s’approcha de Marguerite avec toute la galanterie prescrite par la mode du temps en pareil cas, mais la jeune fille resta immobile. Elle ne fit pas un mouvement pour se prêter à la légère familiarité ordonnée par son père, en apparence avec si peu de convenance. Cependant lorsqu’elle sentit les lèvres du chevalier effleurer ses joues fraîches et brunes, un vif incarnat colora son visage, et elle se rejeta en arrière d’un air d’effroi.

Mais cette émotion fut courte, et personne n’eut le temps de la remarquer. Marguerite se hâta de rentrer dans la maison, et pendant que son père prenait congé des montagnards qui l’avaient accompagné jusqu’à l’endroit où il avait trouvé Peyras aux prises avec Michelot, elle introduisit ses hôtes dans la salle à manger, où un repas subtantiel était préparé pour eux.

Cette salle, située au rez-de-chaussée, avait un aspect propre et gai, comme tout ce qui dépendait de cette charmante habitation. Le plancher en bois de sapin était frotté avec un soin extrême ; les poutres du plafond étaient sculptées avec un goût bien supérieur à ce que l’on pouvait attendre dans ce village écarté. Les lambris, peints en blanc, avec une légère guirlande de fleurs qui courait le long des moulures, n’avaient pour ornement que deux médaillons à cadres dorés qui semblaient être des portraits de famille : l’un représentait un vieillard à mine triste et pensive, en costume de montagnard ; l’autre, une femme à visage frais et vermeil, en costume de bergère, poudrée et la houlette à la main. Quelques chaises en paille ouvragée, et une grande table sur laquelle était étalée un joli service de faïence blanche et d’argenterie, complétaient l’ameublement de cette salle, où pénétrait l’air parfumé des montagnes à travers de fins rideaux de mousseline.

Les étrangers tombaient de surprise en surprise ; ce luxe bien entendu, cette richesse modeste, ce bien-être qui se montraient en toutes choses autour d’eux, les ravissaient d’admiration. Mais à peine avaient-ils eu le temps d’examiner dans ses principaux détails l’élégante salle à manger de Martin-Simon, qu’une voix bien connue vint faire tressaillir le chevalier de Peyras.

— Marcellin ! criait-on, est-ce vous ? m’êtes-vous donc enfin rendu ?

En même temps, une jeune fille, vêtue à peu près de la même manière que Marguerite, s’élança dans la salle, et, par un élan spontané plus fort que toute considération vint se jeter dans les bras de Marcellin.

Mademoiselle de Blanchefort, en empruntant à la fille