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LA MINE D’OR.

de son hôte les parties les plus importantes de sa toilette, avait tiré cependant de sa propre valise quelques effets plus mondains, qu’elle avait ajoutés aux autres ajustemens. Il était enrésulté dans sa mise un charmant mélange de simplicité et de richesse, qui convenait parfaitement à sa figure pâle, à ses proportions délicates. Ses longs cheveux se déroulaient en boucles naturelles autour de sa tête nue, et si elle avait paru belle dans son équipage de cavalier, elle était vraiment charmante, maintenant qu’elle avait repris avec le costume de la femme ses grâces et sa touchante faiblesse.

Marcellin, en retrouvant sa jeune compagne, dont il avait pu se croire un moment séparé pour toujours, se montra plus froid peut-être qu’elle n’aurait dû s’y attendre.

— Ernestine, dit-il, je vous remercie d’avoir été si prompte à m’envoyer du secours. Sans cette promptitude, je ne sais ce qu’il fût advenu de moi.

— Hélas ! ce n’est pas moi que vous devez remercier. Quand je suis arrivée ici, j’étais incapable d’agir et de parler ; mais déjà Martin-Simon était averti par le maître d’école… C’est lui qui a tout fait, lui et sa généreuse fille. En ce moment, elle leva les yeux sur Marguerite, qui, debout à quelques pas, les examinait avec une attention singulière.

Mademoiselle de Blanchefort saisit la main du chevalier et l’entraîna rapidement vers sa nouvelle amie.

— Le voici, dit-elle en souriant à travers ses larmes. Si vous saviez combien je l’aime !

— Si j’avais eu un frère, dit Marguerite avec mélancolie, je l’eusse aimé comme vous aimez le vôtre.

Ce mot de frère, qui rappelait l’erreur de Marguerite, troubla mademoiselle de Blanchefort, et elle baissa la tête d’un air de confusion. Le chevalier lui-même ne put s’empêcher de se sentir embarrassé devant la jeune montagnarde si austère et si pure. Celle-ci promena ses yeux de l’un à l’autre, ne comprenant pas ce qui avait pu, dans les paroles qu’elle avait prononcées, frapper si vivement ses auditeurs. Marcellin fut le premier à surmonter son embarras.

— Mademoiselle Marguerite croit donc, dit-il avec un accent qui tenait le milieu entre la simple galanterie et un sentiment plus sérieux, qu’il ne peut y avoir d’autre affection vive que celle d’un frère ou d’une sœur ?

— Il y a encore celle d’un enfant pour son père et d’un père pour son enfant, répondit Marguerite de sa voix grave et ingénue à la fois.

Le chevalier se taisait en souriant.

— Mademoiselle, reprit-il enfin d’un ton gracieux, je croyais que vous étiez trop belle pour ignorer encore qu’il existe un autre sentiment dont vous ne parlez pas.

La fière Marguerite se redressa brusquement, jeta un regard irrité au chevalier, et sortit aussitôt de la salle.

— Vous l’avez fâchée, dit Ernestine avec dépit ; ne pouviez-vous donc vous abstenir de galanteries ?

Marcellin haussa les épaules.

— Elle n’est point fâchée, mais seulement effarouchée, reprit-il ; c’est peut-être la première fois que cette jeune sauvage reçoit un compliment ; il n’est pas mal qu’elle s’y habitue.

Mademoiselle de Blanchefort prit un air boudeur. En ce moment, Michelot, qui jusqu’alors s’était tenu à l’écart dans un coin de la salle, s’approcha d’elle et lui dit en s’inclinant profondément :

— Mademoiselle de Blanchefort est-elle donc si occupée de ses nouvelles connaissances qu’elle ne fasse plus attention aux anciennes ?

En apercevant le procureur, Ernestine poussa un cri d’effroi, et s’avança vers le chevalier, comme pour implorer son appui.

— Encore lui ! s’écria-t-elle ; cet homme ici ? Marcellin, vous m’avez trompée, tout danger n’est pas passé pour nous ; cet homme nous perdra.

— Que Dieu le préserve de l’essayer ! dit le chevalier avec menace.

Le procureur fut un peu décontenancé par cette vive expression de la haine d’Ernestine.

— Vous êtes cruelle pour moi, mademoiselle, dit-il avec amertume, et mon titre d’ami de votre père eût dû me mettre à l’abri d’une pareille injustice. Il est vrai que la mission que j’avais reçue de monsieur le lieutenant-criminel, mon digne patron, avait précisément pour but de contrarier vos projets ; mais c’est avec une vive satisfaction que j’ai vu la possibilité d’arranger cette affaire suivant vos désirs et suivant ceux de monsieur de Blanchefort ; je serai le premier à approuver un mariage qu’il aura sanctionné de son consentement.

Ces paroles si positives firent une vive impression sur les deux fiancés.

— Michelot, demanda le chevalier avec vivacité en se levant, parlez-moi avec franchise : est-ce que vous avez des raisons sérieuses de penser que nous obtiendrons le pardon de monsieur de Blanchefort, par l’intervention de notre mystérieux protecteur ?

— Votre mystérieux protecteur vous assure que vous l’obtiendrez ! s’écria gaiement Martin-Simon, qui rentrait en ce moment et qui avait saisi au bond ces dernières paroles ; demain matin, monsieur Michelot retournera à Lyon avec une lettre pour monsieur le lieutenant lui-même, et dans quelques jours d’ici, c’est-à-dire après le délai rigoureusement nécessaire pour aller à Lyon et revenir, nous pourrons célébrer votre union dans l’église du Bout-du-Monde, de l’aveu même de ce père impitoyable.

— Oh ! faites cela, monsieur, dit Ernestine avec chaleur ; obtenez le pardon de mon père, et je vous bénirai toute ma vie !

Peyras était devenu pensif.

— Et vous ne pouvez, dit-il à Martin-Simon, me faire entrevoir les moyens que vous comptez employer pour vaincre une obstination que je sais presque invincible ?

— C’est mon secret, dit le roi du Pelvoux en se frottant les mains ; je vous dirai tout lorsque nous aurons réussi. Je suis habitué à ne supporter aucune contrariété ; si je vous mettais dans ma confidence, vous trouveriez à mes projets une foule d’obstacles et de difficultés que je saurai bien surmonter. J’aime à rendre service, mais à ma manière, et il faut que ceux que je sers me laissent mon humeur, toute bizarre qu’elle leur paraisse.

En ce moment, Marguerite rentra suivie de deux domestiques. Martin-Simon posa rapidement un doigt sur sa bouche, et il invita les assistans à se mettre à table.

Une sorte de gêne régna parmi les convives pendant le repas. Marguerite, assise en face de son père, ne semblait avoir aucune autre préoccupation que celle de faire, avec une politesse froide mais attentive, les honneurs de la table. Ernestine était rêveuse, et le chevalier observait avec intérêt ce qui se passait autour de lui. Michelot seul tenait bravement tête au maître de la maison et pour la conversation et pour l’appétit.

Une place était restée vide au bas bout de la table, et Marcellin remarqua que le roi du Pelvoux tournait fréquemment les yeux du côté de la porte, comme si l’on eût attendu un nouveau convive. Il en fit l’observation à son hôte, qui répondit négligemment que cette place était réservée au maître d’école, son commensal ordinaire ; mais que sans doute ce jour-là quelque distraction avait fait oublier au vieux pédagogue l’heure du dîner, à moins que la présence des étrangers ne l’eût mis en fuite, car il était timide comme un enfant.

Le chevalier n’avait aucune raison de révoquer en doute cette explication fort naturelle, et il continua d’exercer son ardente curiosité sur tout ce qui s’offrait à ses regards. Bientôt il s’aperçut que le maître du logis buvait dans un gobelet d’argent, de forme antique, sur lequel étaient gravées des armoiries à demi effacées par le temps. Il se pencha sans affectation pour reconnaître cet écus-