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LA MINE D’OR.

Sa voix s’affaiblit et s’éteignit enfin dans les sanglots. Le prieur et Eusèbe Noël se levèrent à la fois.

— Ma fille, dit le vieux moine avec solennité, vous attendez de moi des conseils et des consolations ; ni les uns ni les autrès ne vous manqueront…

— Oh ! merci, merci ! s’écria la jeune fille, dont les joues se colorèrent d’un léger incarnat : vous êtes bon, mon révérend père ; mais aussi vous êtes un homme juste et sage, vous ne pourriez pas vouloir déguiser votre pensée !… Oh ! je vous en récompenserai, soyez-en sûr ! je vous offrirai un calice d’or pur pour votre chapelle du Lautaret… Mais vous, Noël, vous, mon vieux précepteur, ajouta-t-elle en se tournant vers le maître d’école, vous ne me dites rien… Par pitié, donnez-moi aussi l’assurance que vous n’accusez pas mon père, que vous l’aimez, que vous l’estimez toujours comme votre bienfaiteur et votre ami !

— Pouvez-vous en douter, Marguerite ? s’écria le magister avec entraînement ; Dieu du ciel ! je n’avais pas prévu…

Marguerite se leva brusquement à son tour.

— Ainsi donc, reprit-elle avec un sourire convulsif, j’étais une folle, une fille dénaturée… Comme je suis heureuse de vous avoir confié mes révoltans soupçons ! J’ai bien souffert pendant l’horrible nuit qui vient de s’écouler !… Mais maintenant c’est fini… Je ne vous demande pas qui est le coupable ; qu’importe, puisque mon père est innocent ? Adieu, adieu, mes respectables amis, je vous dois plus que la vie !

Elle arrangea sa mante comme pour s’éloigner ; mais l’hospitalier l’arrêta.

— Où donc allez-vous, ma fille ?

Je vais aux genoux de mon père lui avouer ma faute, implorer mon pardon. Il me pardonnera certainement, car il m’aime !… Ne me retenez pas ; tant que je sentirai sur mon cœur ce terrible remords, je ne pourrai goûter aucun repos.

— Attendez, Marguerite, reprit le prieur avec mélancolie, tout n’est pas encore dit sur cette triste affaire. Il ne suffit pas que Martin-Simon soit innocent, il faut encore que le monde le croie tel…

— Comment ! on le soupçonne donc ?

— Il est impossible de le cacher, beaucoup de personnes ont été témoins de la dernière altercation du bailli avec ce malheureux Raboisson, et en ont tiré des inductions fâcheuses… Interrogez monsieur Noël ; il connaît les termes de ce procès-verbal que votre père a laissé dicter par le procureur Michelot avec une confiance bien déplorable, puisqu’il paraît qu’on peut s’en servir contre lui-même.

— Il est vrai ! s’écria le maître d’école, et que deviendrais-je, bon Dieu ! si l’on accusait mon bienfaiteur d’un pareil crime ? Mais ces craintes ne se réaliseront pas, je l’espère, quoique le souvenir de cet homme de loi au sourire faux et hypocrite me fasse frémir par momens… J’ai des raisons de penser que Michelot connaissait Raboisson beaucoup mieux qu’il ne veut le dire, et peut-être ourdit-il déjà quelque trame ténébreuse…

— Oubliez-vous donc, Eusèbe, que ce Michelot dont vous parlez quittera le village aujourd’hui même, et que, selon toute apparence, il ne reviendra jamais au Bout-du-Monde ?

— Oui, mais il s’est chargé de remettre au parquet du parlement de Grenoble ce terrible procès-verbal, et l’on ne sait pas quelle tournure il pourra donner à cette affaire… Défiez-vous de lui, vous dis-je, et puisque vous êtes riches, achetez son silence à tout prix. Sans doute il demandera beaucoup, car il connaît votre secret.

— Notre secret ! répéta Marguerite en tressaillant.

Il se fit une longue pause.

— Ma fille, dit enfin l’hospitalier, vous et votre père vous êtes seuls à ignorer que la dissimulation ne vous est plus nécessaire. Les bruits vagues qui ont couru si longtemps sont confirmés par des indiscrétions de Raboisson… Il ne reste plus de doute à personne sur l’existence d’une mine d’or découverte par votre aïeul.

Marguerite hésitait à répondre.

— Le fait est-il sûr ? murmura-t-elle, le moment prescrit serait-il arrivé ?… Eh bien ! mon père, continua-t-elle avec une dignité mélancolique, quand même on aurait dit vrai, vous ou personne au monde pourriez-vous nous reprocher d’avoir mal employé l’or que Dieu nous envoyait ? Notre richesse ne nous a-t-elle pas toujours mérité les bénédictions du pauvre et du malheureux ?

— J’en conviens, ma fille, mais oserez-vous affirmer qu’il en sera toujours ainsi ? Cet or ne peut-il devenir pour vous et pour les vôtres la cause de toutes sortes de maux ? Ne peut-il exciter des passions mauvaises, des scandales, des crimes ?… Et, voyez, ne vous semble-t-il pas déjà que l’influence sinistre de ce métal perfide agisse autour de vous ? Qui sait si Raboisson n’a pas été la victime de quelque homme avide qui voulait lui arracher son secret ? Vous-même, mon enfant, n’avez-vous pas cru un moment que votre vertueux père avait pu, pour conserver son trésor, commettre un assassinat !

— Laissons ce triste souvenir, mon révérend… Ce trésor, du jour où il ne pourra plus être employé saintement, du jour où il deviendra l’objet d’un désir coupable, la cause d’une mauvaise action, n’appartiendra plus à personne, et sera perdu à tout jamais, pour les bons comme pour les méchants.

Les yeux du vieux moine brillèrent d’un éclat inacoutumé.

— Que dites-vous là, ma fille ? s’écria-t-il chaleureusement ; quoi ! serait-ce reconnaître dignement les présens de la divine Providence que de les anéantir et d’en priver ainsi l’humanité ? Manque-t-il donc sur la terre de misères à vêtir, de pauvres à nourrir, de malades à soulager ? Employez ces richesses en bonnes œuvres, ma fille, et elles vous profiteront encore. Je vous parlerai avec franchise : depuis longtemps je sais la vérité, et plus d’une fois j’ai prouvé à votre père combien il serait sage de léguer après sa mort cette mine à la pieuse maison dont je suis un des desservans ; s’il veut y renoncer durant le cours de sa vie, ne vaut-il pas mieux la confier à des religieux qui l’emploieront au service de Dieu, que de l’anéantir comme vous semblez en avoir la pensée ? Cet or ne sera-t-il pas sanctifié par l’usage que nous en ferons ? Notre hospice est pauvre ; souvent le voyageur égaré n’y trouve pas tout le bien-être que nous serions heureux de lui procurer ; les offrandes ne sont ni nombreuses, ni importantes dans ces pays écartés ; nous n’avons pas, comme nos frères les hospitaliers du mont Cenis, des ressources suffisantes pour accueillir le mendiant et le pèlerin !

Eusèbe Noël se dressa tout à coup entre le prieur du Lautaret et Marguerite Simon.

— Ne le croyez pas, Marguerite ! s’écria-t-il avec véhémence, ne le croyez pas ! Les aumônes abondent dans les coffres de l’hospice, les revenus sont suffisans, c’est moi qui vous le jure… Si votre père renonce à la propriété de cette mine d’or, ne vaut-il pas mieux l’abandonner à un homme probe et honnête, qu’à des moines avides qui ont fait vœu de pauvreté ? Ne vaut-il pas mieux assurer le bonheur d’un ancien ami, qui a connu les besoins et les souffrances, qui sera reconnaissant toute sa vie, que d’enrichir une communauté dont aucun membre ne considérera la reconnaissance comme un devoir ? Moi qui vous parle, Marguerite, j’ai passé vingt années bien malheureuses avant mon arrivée à ce village. Je me souviens d’avoir éprouvé, dans toutes leurs rigueurs, la faim, la soif et la misère ; j’ai vécu ici à l’abri du besoin, il est vrai, mais dans l’obscurité et sans pouvoir être utile à mes semblables. Faites-moi riche, et je serai bon ; j’ai tant souffert moi-même que je saurais compâtir aux souffrances des autres ! Fiez-vous à moi, je serai généreux comme votre père ; tous ceux qui m’approcheront seront heureux… D’ailleurs, continua-t-il comme s’il désirait concilier des intérêts contraires, qui empêcherait, si c’était votre