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ROMANS CHOISIS. — ÉLIE BERTHET.

volonté, qu’après ma mort le secret de cette mine ne revint aux moines du Lautaret ? réfléchissez, mon enfant ; cela serait plus sage que de priver la vallée, la province, la France du trésor inestimable que le hasard a mis entre vos mains !

La dernière proposition de Noël adoucit l’indignation du prieur, qui d’abord avait été sur le point d’éclater. Marguerite les observait l’un et l’autre d’un air de pitié. Depuis que ce nom magique de mine d’or avait été prononcé, un changement subit s’était opéré en eux. Leurs yeux s’étaient séchés, leurs voix étaient devenues brèves, leurs traits exprimaient la dureté et l’égoïsme. L’un avec sa figure austère, sa longue barbe blanche et sa robe de religieux, l’autre avec son visage hâve et amaigri, son corps long et sec, formaient deux personnifications de l’avarice, quand ils suppliaient et flattaient tour à tour cette belle et noble jeune fille qui souriait de mépris.

— Messieurs, répondit-elle enfin d’un ton légèrement ironique, il ne m’appartient pas de pénétrer les secrets desseins de mon père pour le présent ou pour l’avenir. Je sais seulement qu’il est lié par un serment solennel, et c’est à lui de juger si l’accomplissement de ce serment est ou non compatible avec vos prétentions… Adressez-vous à lui.

— Une profonde consternation se peignit sur les traits du moine et du maître d’école ; l’un et l’autre semblaient honteux d’avoir laissé voir à nu toute leur basse cupidité. Mais Marguerite, soit générosité, soit préoccupation, parut l’oublier aussitôt. Elle reprit d’un air mélancolique :

— Pourquoi faut-il que ces idées d’intérêt soient venues troubler la joie que vous m’aviez donnée ? Cependant recevez mes remerciemens ; je sors d’ici plus calme que je n’y suis entrée ; à la vérité, je ne vous ai pas révélé encore tous les chagrins qui me déchirent le cœur.

— Vous avez d’autres chagrins, ma fille ?

— Oui, oui, mais qu’importe ! pourvu que mon père soit toujours digne de ma tendresse !

Elle s’inclina brusquement et elle s’avança vers la porte. Peyras, absorbé par l’intérêt puissant de cette scène, oubliait qu’il allait être surpris ; le vieux moine retint Marguerite au moment où elle allait sortir, et lui dit à voix basse :

— Promettez-moi que cette mine d’or appartiendra plus tard à l’hospice du Lautaret, et, lors même que la position de votre père semblerait désespérée, je trouverai moyen de le sauver.

Marguerite voulut l’interroger, mais le prieur posa un doigt sur sa bouche.

— Que lui dites-vous ? s’écria le maître d’école avec défiance.

Il y eut encore quelques paroles échangées entre les interlocuteurs, mais Peyras ne put en entendre davantage ; il quitta sa cachette et prit sa course vers le village.

IX

LA DÉCLARATION.

Au moment où Marcellin de Peyras, tout ému encore des secrets qu’il avait surpris, se dirigeait vers la maison de son hôte, le jour était déjà haut, et les villageois commonçaient à se montrer dans l’unique rue du Bout-du-Monde. Ne voulant pas être aperçu en simple négligé du matin, le chevalier se hâta de prendre un sentier solitaire qui côtoyait le village et qui devait le conduire, après un léger détour, à la demeure de Martin-Simon.

Ce chemin était bordé par des arbustes odoriférans et par les murailles blanches des enclos dont chaque habitation était entourée. Il n’y avait personne dans cet endroit écarté, et Marcellin ralentit le pas afin de se livrer sans contrainte à ses réflexions.

— Qu’a voulu dire Marguerite, pensa-t-il, lorsqu’elle a parlé de ses chagrins secrets ? En vérité, je ne sais pourquoi ces quelques paroles m’ont frappé plus que tout le reste… Il est donc certain que Martin-Simon possède une mine d’or… Je n’en avais eu jusqu’ici que le soupçon… Oui, et d’autres plus alertes se sont déjà mis en campagne pour s’emparer de ce trésor ! Michelot d’abord ; je me doutais bien que ce damné grippe-sou avait un intérêt dans tout ceci ; puis, ce vieil hypocrite de frocard et cet imbécile de maître d’école. Comme ils y allaient tous les deux ! comme ils cherchaient à profiter du désespoir et de l’égarement de cette pauvre fille pour lui arracher son secret, pour lui extorquer une promesse ! Oh ! les parties sont engagées ; chacun s’empresse de son côté, et le crime réel ou supposé de Martin-Simon fait beau jeu à tous. Mais voyons, moi le parent du roi du Pelvoux, quelle part aurai-je dans tout ceci ? Ma part, c’est une bagatelle de cent à cent cinquante mille écus au moyen desquels on s’est posé en bienfaiteur de la branche cadette de Peyras… C’est peu, une fortune bourgeoise, après tout ; et cependant si le soupçon qui m’est venu se réalisait, si cette petite Marguerite, malgré ses airs de reine, ne me voyait pas d’un œil indifférent, moi Marcellin de Peyras ? Il n’y aurait là rien d’impossible. Je crois, sans me flatter, que je suis ce qu’elle a rencontré de mieux dans ce pays perdu ! Dans ce cas j’aurais de belles chances, et je saurais bien museler les ambitions qui grondent autour du père et de la fille ; j’épouserais Marguerite et j’aurais la mine d’or… Oui, mais Ernestine ? Au diable soit l’idée que j’ai eue d’enlever cette niaise ! Le contrat est déjà signé, mais on peut toujours rompre un contrat ; il est vrai que Martin-Simon, qui est à cheval sur les principes, ferait un bruit horrible ; je pourrais tout perdre !… Bah ! il serait possible de tout arranger si Marguerite avait véritablement de l’affection pour moi. Je l’amènerais facilement à dominer son père… Mais m’aime-t-elle ? Voilà la question.

Le chevalier en était là de ses méditations lorsqu’un bruit léger se fit entendre derrière lui. Il tourna la tête, et Marguerite, enveloppée dans sa mante et le visage couvert de son capuchon, se dirigeait rapidement de son côté.

Peyras rougit comme un coupable en se voyant tout à coup si près de celle qui occupait sa pensée, et il craignit d’abord qu’elle ne le soupçonnât d’avoir épié ses démarches. Cependant une raison analogue à celle qui l’avait empêché lui-même de traverser le village avait bien pu décider sa parente à choisir le chemin détourné. Rassuré par cette réflexion pour l’attendre, Marguerite, sombre et rêveuse, allait passer près de lui sans l’apercevoir : Bonjour, ma belle cousine, dit-il avec gaieté ; déjà sur pied par cette fraîche matinée ! Heureux celui qui vous rencontrerait ici autrement que par un simple hasard !

Marguerite ne témoigna ni surprise ni crainte en le reconnaissant.

— Je ne vous comprends pas, monsieur le chevalier, répliqua-t-elle froidement, en le saluant d’un signe de tête.

— Mais, dit Peyras en souriant, on pourrait supposer, en vous trouvant seule ici, que vous y cherchez quelqu’un, et j’envierais le sort du fortuné mortel…

Marguerite eut l’air de réfléchir au sens de ces paroles ; puis elle hocha la tête, mais sans colère.

— Je vous ai déjà dit que je ne comprenais pas le beau langage, répondit-elle, et peut-être n’y a-t-il pas grand mal, car ce sont d’ordinaire des paroles vaines… Mais excusez-moi, monsieur le chevalier, je ne puis m’arrêter, mon père a déjà sans doute remarqué mon absence.

— Permettez-moi donc de vous offrir mon bras, dit Marcellin avec empressement. Marguerite n’osa refuser cette invitation, et ils marchèrent un moment en silence