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LA MINE D’OR.

Peyras sentit que son jargon ordinaire auprès des femmes ne lui réussirait pas cette fois. — Vous paraissez souffränte, mademoiselle Marguerite, demanda-t-il affectueusement, et j’ai remarqué que depuis hier vous semblez en proie à quelque violent chagrin.

— C’est vrai, répondit Marguerite avec un soupir.

Le chevalier ne s’attendait pas sans doute à un aveu si net, mais il ne témoigna aucun étonnement.

— En ce cas, reprit-il du même ton, mes titres de parent et d’ami seraient-ils insuffisans pour me donner droit à votre conflance ? Ne pourriez-vous m’apprendre la cause de ces chagrins ?

— Je ne le puis ; d’ailleurs à quoi bon ?

— Douteriez-vous de mon zèle à vous servir et de mon dévouement ? s’écria Peyras. Ce serait mal, mademoiselle, dans un moment où je suis comme écrasé sous le poids des obligations que j’ai contractées envers votre famille, de ne pas me fournir l’occasion de m’acquitter envers elle autant que les circonstances le permettraient… Peut-être, Marguerite, ignorez-vous que je serais capable d’exposer me vie pour mériter votre affection ?

Marguerite sourit tristement.

— Je n’ai aucune raison de douter de la vérité de vos paroles, reprit-elle, car ce dont vous faites le moins de cas est précisément votre existence. Mais il arrive parfois, monsieur, que les dévouemens les plus complets ne sauraient être d’aucun secours à ceux qui souffrent. Laissons ce sujet, ajouta-t-elle avec un léger accent d’amertume, je ne voudrais pas vous attrister un jour qui doit être si beau pour vous, un jour où vous allez épouser enfin votre chère Ernestine ! Dans quelques heures, vous serez uni à elle par des liens indissolubles, puis l’un et l’autre vous quitterez ces montagnes, vous retournerez à cette vie de luxe et de plaisir pour laquelle vous êtes faits ; alors vous ne songerez plus à ceux que vons avez rencontrés par hasard dans cette obscure vallée !

— Et qui vous assure qu’il en sera ainsi, Marguerite ? Qui vous dit que j’oublierai si facilement des personnes chères, et que je pourrai désormais trouver des charmes à cette vie froide dont vous parlez ! Je n’ai pas encore épousé mademoiselle de Blanchefort !

— Tout n’est-il pas prêt pour la cérémonie ? notre maison n’est-elle pas parée comme pour une fête, lorsque pourtant le deuil est sur le point d’y entrer ? Mon père ne se montre-t-il pas joyeux et fier de votre bonheur prochain, quand un affreux malheur le menace peut-être ? Au moment où nous sommes, la fiancée doit se parer déjà et le prêtre se dispose à monter à l’autel.

— Eh bien ! regardez-moi, Marguerite, suis-je prêt, moi ? Est-ce là le costume d’un heureux époux qui va conduire à l’autel une femme aimée ? Une nuit d’insomnie peut changer bien des résolutions.

Marguerite s’arrêta brusquement, et ses traits prirent une animation extraordinaire.

— Que voulez-vous dire ? demanda-t-elle.

— Je parle pourtant clairement… ce mariage ne s’accomplira pas.

Soit étonnement, soit indignation, soit tout autre sentiment, Marguerite rougit et pâlit tour à tour ; elle baissa les yeux et éprouva une sorte de tremblement convulsif.

— Et… pourquoi ? dit-elle.

Le chevalier avait parfaitement remarqué tous les signes d’émotion que donnäit l’austère Marguerite, et ils ne firent que confirmer ses soupçons. Il appartenait à cette classe de libertins qui croient tout possible de la part d’une femme lorsqu’elle est sous l’influence d’une passion quelconque ; ses conquêtes passées l’avaient habitué à des caprices subits, à d’incroyables reviremens d’idées. D’ailleurs, il était assez aventureux par caractère pour risquer la tentative la plus folle, et il dit d’une voix ferme, sans détourner les yeux :

— C’est que je ne l’aime plus, mademoiselle ; c’est que je ne l’ai jamais véritablement aimée, c’est qu’enfin j’en aime une autre plus digne de mon amour. — En même temps, il prit la main de la jeune fille, qui ne songeait pas à la retirer. Le chevalier crut que ce silence était de favorable augure. — Écoutez, Marguerite, reprit-il, je m’étais abusé moi-même jusqu’à ce jour. Une affection aussi vive, aussi profonde que celle que je pouvais donner, ne devait pas s’adresser à des créatures faibles et imparfailes comme celles que j’ai rencontrées avant d’arriver dans cette tranquille vallée. N’y aurait-il pas du danger à unir mon sort à celui d’une femme qui aurait perdu mon estime et celle du monde, d’une femme dont les fautes passées me feraient craindre sans cesse des rechutes ? Non, non ; je ne pense déjà plus comme je pensais il y a quelques jours ; ce que j’excusais autrefois me semble honteux aujourd’hui. Depuis que j’ai eu le bonheur de voir une belle jeune fille de ces montagnes, pure et sévère comme une sainte, étrangère à toute idée étroite et frivole, je n’ai plus senti que du mépris pour ces femmes vaines, inconstantes, légères ; il s’est fait en moi comme une révélation, et je me suis dit que je n’aurais jamais pour épouse qu’une jeune fille semblable à celle dont je parle, une simple et noble créature dont la vie tout entière se serait passée dans l’observance des devoirs, dont la solide vertu serait une garantie pour l’avenir, et celle-là, Marguerite, je l’aimerais de toutes les forces de mon âme ! — Pendant qu’il parlait, Marcellin examinait sa jeune parente. Elle restait immobile et silencieuse ; cependant elle n’avail pas reliré sa main, que Peyras senlait trembler, et dans ses yeux, obstinément baissés, il crut voir briller un éclair d’orgueil et de joie. Peut-être Marguerite avait-elle aussi un grain de cet amour-propre, de cette coquetterie qui semblent inhérens à la nature de la femme ; peut-être, au fond de son cœur, éprouvait-elle de la satisfaction à penser qu’elle était préférée, elle, simple fille de village, à une demoiselle de haute condition, de manières élégantes. Son silence du moins pouvait passer pour un encouragement, et le chevalier se crut autorisé à rendre ses allusions plus claires encore : — Si j’avais le bonheur d’obtenir la main d’une pareille femme, reprit-il, ma vie tout entière lui appartiendrait. Si elle aimait le plaisir et l’éclat, je rendrais son existence brillante et enviée ; si elle préférait les joies paisibies du foyer domestique, je les partagerais avec elle, et je mettrais tous mes soins à éloigner d’elle les importunités du monde. Pour elle je renoncerais à tout ce que j’ai recherché autrefois, mon orgueil serait de lui plaire, mon bonheur serait d’y réussir ! Me comprenez-vous, Marguerite ? Est-il donc nécessaire de vous dire que cette femme dont je vous parle, c’est vous ? — Cet aveu direct sembla secouer la torpeur de Marguerite. Elle se redressa vivement, darda un regard de feu sur le chevalier, et, repoussant sa main par un geste rapide, elle se remit à marcher à pas précipités vers le village. Marcellin était stupéfait. S’il s’attendait à un refus, il ne comptait pas du moins sur ce silence méprisant. Une vive rougeur colora ses joues, mais cette rougeur provenait autant de la colère que de la honte. — Marguerite ! Marguerite ! appela-t-il d’une voix irritée.

La jeune fille s’arrêta pour l’attendre.

— Monsieur de Peyras, dit-elle de cette voix sonore et ferme qui imposait à tout ce qui l’approchait, votre main et votre nom ne vous appartiennent plus ; vous ne pouvez sans infamie les offrir à une autre ; une autre ne peut les accepter sans lâcheté et sans remords. Quant à moi, je vous dirai franchement ce que je pense de vous. Le jour où je vous vis pour la première fois, j’éprouvai ce que je n’avais jamais éprouvé : c’était comme une ancienne amitié qui se réveillait, un besain de dévouement qui m’eût fait sacrifier aux vôtres mes plus chers intérêts… Ne soyez pas fier de cette impression ; je l’ai ressentie par surprise, et je l’ai combattue de toutes les forces de ma raison, Peut-être ne serais-je-pas parvenue à l’étouffer tout à fait, si vous m’aviez laissé ici que des souvenirs d’honneur et de loyauté ; mais à présent que vous vous montrez à moi sous votre vrai jour, voici ce que je vous dirai : Vous voyez là-bas cet immense rocher qui s’élève à pic sur le flanc