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ROMANS CHOISIS. — ÉLIE BERTHET.

du Pelvoux ? eh bien ! Marguerite de Peyras se précipiterait de sa cime dans la vallée avant de consentir à devenir votre femme.

Après s’être exprimé avec cette brusque franchise, cette fille singulière continua sa route, déterminée en apparence à ne plus répondre aux interpellations du chevalier. Marcellin l’atteignit bientôt, et ils s’avancèrent côte à côte sans rien dire.

Le chevalier, comme on a pu le voir dans le cours de ce récit, était hautain, violent, et les obstacles ne faisaient qu’augmenter son opiniâtreté naturelle. La manière, dure et dédaigneuse dont on l’avait traité le blessait cruellement.

— Je le vois, mademoiselle, dit-il enfin d’une voix brève, vous me haïssez. Loin de recevoir ma proposition comme vous auriez pu le faire de la part d’un parent, d’un ami, d’un gentilhomme, vous m’avez outragécomme nulle autre personne au monde n’a jamais outragé le chevalier de Peyras… Si vos sentimens pour moi ne vous commandaient aucun ménagement, vous eussiez dû peut-être songer davantage à d’autres personnes sur lesquelles je pourrais me venger de cette injure.

— Si vous voulez parler, répondit Marguerite sans tourner la tête, de cette malheureuse jeune fille que vous avez si indignement trompée, sachez qu’il y aurait autant de danger que de cruauté à lui refuser une légitime réparation !

— J’affronterais le péril et la honte… mais vous ne m’avez pas compris. Un secret important, un secret devant lequel cèdent toutes les considérations de famille, de reconnaissance, de convenances sociales, pèse sur votre existence et sur celle de votre père. Ce secret que ma position auprès de vous me défendait de pénétrer, je veux le connaître, maintenant que vos mépris m’ont affranchi de tous scrupules, de toutes obligations… Oui, je le jure, je découvrirai cette mine d’or d’où est sortie l’immense fortune qui vous rend si fière !

Rien de ce qu’avait dit Peyras jusqu’à ce moment n’avait paru affecter aussi douloureusement Marguerite que cette menace. Le masque d’austérité qui couvrait en tout temps son visage tomba tout à coup. Une grosse larme brilla dans ses yeux noirs :

— Ainsi, dit-elle avec un accent profondément triste, cette passion même que vous exprimiez avec tant de chaleur n’était pas réelle ? Ce n’était pas moi que vous aimiez, c’était la mine d’or de mon père… Marcellin, Marcellin, pourquoi ne m’avez-vous pas laissé croire qu’une passion insensée pouvait seule vous faire manquer à des devoirs sacrés ?

Une joie maligne se montra sur les traits de Peyras ; il était trop habile pour se méprendre sur la portée de ces paroles.

— Marguerite, s’écria-t-il, vous vous êtes trahie, Marguerite, vous m’aimez, j’en suis sûr !

Mais les faiblesses de cette âme vigoureuse étaient courtes et rares. En entendant ce cri de triomphe, Marguérite se redressa, et elle répondit avec une dignité accablante :

— Je vous méprise ! — Néanmoins, comme on approchait de la maison, elle parut regretter son excessive dureté. — Monsieur le chevalier, reprit-elle avec douceur, nous allons rentrer chez mon père. J’ai encore assez bonne opinion de vous pour espérer que vous ne donnerez aucune suite aux menaces qui vous sont échappées dans un moment de colère… Mademoiselle de Blanchefort n’a rien fait pour mériter un pareil outrage.

— Et cependant, mademoiselle, dit Peyras d’un ton farouche, je suis irrévocablement décidé à rompre ce mariage, à moins…

— Une condition ?… parlez vite…

— À moins qu’avant une heure d’ici vous ne m’ayez révélé l’endroit où se trouve cette mine d’or !

Marguerite allait répondre, mais, en débouchant sur la place du village, les deux promeneurs aperçurent tout à coup un groupe nombreux de montagnards qui stationnaient devant la demeure de Martin-Sïmon. Des clameurs, des vociférations se faisaient entendre à l’intérieur de la maison ; tout annonçait qu’il s’y passait quelque chose d’extraordinaire.

Marguerite et le chevalier doublèrent le pas. Au même instant, mademoiselle de Blanchefort, vêtue de blanc et déjà parée pour la cérémonie du mariage, accourut tremblante au-devant d’eux :

— Bon Dieu ! Marguerite, et vous, monsieur de Peyras, dit-elle avec terreur en joignant les mains, où étiez-vous donc pendant cette affreuse scène ? Par pitié, hâtez-vous ; peut-être votre présence va-t-elle prévenir de grands malheurs !

L’un et l’autre se précipitèrentdans la maison, où tout était désordre et confusion.

XI

LE PROCUREUR.


Il faut ici que nous revenions un peu en arrière et que nous racontions ce qui s’était passé dans la demeure de Martin-Simon pendant que le chevalier de Peyras et Marguerite se trouvaient à l’autre extrémité du village.

Au jour naissant, le roi du Pelvoux, fidèle aux habitudes matinales de la campagne, était assis déjà dans sa chambre, devant son bureau de vieil ébène, et compulsait un registre à fermoirs de cuivre qui semblait être un livre de comptes. Il avait tiré ce registre d’un grand et solide coffre en chêne resté ouvert près de lui. Ce coffre, avec le bureau, un lit de damas jaune et quelques fauteuils, formaient tout l’ameublement de la chambre, qui était revêtue de boiseries peintes sans ornemens. Nul ne pénétrait dans cette pièce, excepté le propriétaire, sa fille, et une vieille servante presque idiote, qui était chargée du soin d’y entretenir une scrupuleuse propreté.

La répugnance de Martin-Simon à recevoir en cet endroit toute espèce de visiteurs paraîtra fort naturelle, lorsque l’on saura que l’énorme bahut dont nous avons parlé contenait des sommes considérables en or et en argent monnayé, circonstance qui expliquait aussi les lourdes serrures dont le couvercle était muni ; un pareil trésor ne devait pas être exposé sans nécessité aux regards curieux.

Martin-Simon était plongé dans ses calculs, lorsqu’un coup léger fut frappé à la porte soigneusement cadenassée. Il fit un signe d’étonnement :

— Qui donc peut venir ainsi me déranger ? murmura-t-il ; sans doute c’est un de nos hôtes, car toutes les personnes de la maison savent… — On frappa de nouveau plus distinctement. — Qui est là ? demanda le roi du Pelvoux d’un ton d’humeur et sans bouger.

— C’est moi… Michelot, répondit-on du dehors.

— Eh ! que diable me voulez-vous à pareille heure ?

— Je désiré vous parler de choses importantes.

— Eh bien ! allez m’attendre dans la salle basse ; je vous rejoindrai tout à l’heure.

— Permettez-moi plutôt d’entrer, dit Michelot avec insistance ; dans la salle basse, nous pourrions être dérangés.

— Que peut avoir à me dire ce vieux gratte-papier ? grommela Martin-Simon.

Cependant il se leva, replaça son livre dans le précieux coffre-fort, qui fut refermé avec un grand bruit de ferrailles ; ce fut seulement quand il eut soigneusement serré les clefs dans la poche de sa veste qu’il alla déverouiller la porte de l’escalier.

Michelot était vêtu avec recherche pour la cérémonie du mariage. De magnifiques dentelles rehaussaient son cos-