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LA MINE D’OR.

tume noir ; sa volumineuse perruque était frisée avec un soin particulier. Cependant sa physionomie contrastait avec cette toilette de fête ; son visage jaune et ridé avait une expression dure et effrayante. En entrant dans la chambre, il jeta autour de lui un regard lent qui s’arrêta plus particulièrement sur le coffre dont nous avons parlé. Cependant il n’oublia pas les devoirs que lui imposait une rigoureuse politesse ; il s’inclina devant le maître de la maison et grimaça un sourire en exprimant la crainte de déranger son hôte par une visite aussi matinale.

— Il n’est jamais trop matin pour moi dès qu’il fait jour, répliqua Martin-Simon avec un reste d’humeur, mais entrez, entrez, maître Michelot… Si vous avez à me parler, ce n’est pas sans doute pour vous plaindre de l’accueil qu’on vous a fait ici ?

— À Dieu ne plaise, monsieur ! Je n’ai qu’à me louer des attentions dont j’ai été l’objet dans votre maison ; et votre gracieuse hospitalité me rend plus pénibles encore les devoirs qu’il me reste à remplir.

— Des devoirs pénibles ! Ah çà ! de quoi s’agit-il ? Le contrat qu’on a dressé hier au soir contiendrait-il quelque clause par trop défavorable à la fille de votre patron, le lieutenant-civil ? Il me semble cependant que nous lui avons fait d’assez grands avantages, car enfin monsieur Blanchefortest riche, et il pouvait donner à sa fille unique une dot plus convenablequ’une misérable somme de cent mille livres ?

— Ce n’est pas cela, répondit Michelot avec embarras ; si je vous ai dérangé à pareille heure, c’est que j’ai craint de ne pouvoir trouver dans la journée un moment pour vous entretenir seul à seul d’une affaire qui n’intéresse en rien les futurs époux et dont je veux cependant avoir la solution avant mon départ.

Martin-Simon désigna un siège au procureur, et ils s’assirent en face l’un de l’autre.

Michelot semblait toujours chercher les moyens d’aborder une question épineuse ; le maître de la maison reprit en souriant :

— Allons, je devine où le soulier vous blesse. Vous avez craint sans doute qu’après vous avoir fait courir pendant huit jours pour les affaires de nos jeunes gens, je n’aie oublié vos honoraires… Vous vous trompez, et voici qui vous prouvera que j’ai songé à récompenser votre zèle et votre intelligence pour le service de nos amis.

En même temps, il chercha dans un tiroir de son secrétaire un papier qu’il remit à Michelot : c’était une lettre de change de dix mille livres sur son banquier de Grenoble.

— Vous connaissez la signature, reprit-il ; cette somme vous sera payée intégralement à la première présentation… Eh bien ! trouvez-vous que votre temps ait été mal employé ces derniers jours ?

Le procureur lut avec attention le papier qu’on lui offrait, le plia lentement, le plaça dans sa poche en remerciant d’un signe de tête ; cependant son embarras ne cessait pas, et la générosité de son hôte semblait encore augmenter les difficultés de sa position.

— Monsieur, dît-il enfin d’un ton calme et posé, sans regarder son auditeur, tout est pour le mieux, en ce qui touche le mariage de nos pupilles respectifs… Il est donc inutile désormais de revenir sur le passé, et après vous être occupé des affaires de vos protégés, permettez-moi de vous faire souvenir un peu des vôtres.

— Où voulez-vous en venir, maître Michelot ? demanda le montagnard en fronçant le sourcil ; je suis juge peut-être du plus ou moins de soins que je dois apporter à mes propres intérêts, et personne, pas même un procureur, n’a le droit de s’immiscer…

— Patience ! reprit Michelot d’un air impassible ; vous allez voir que mes paroles ne sont pas jetées à la légère, et ce n’est pas sans motifs que j’ose intervenir dans certaine affaire qui vous est toute personnelle… Il s’agit, continua-t-il en lançant un regard oblique sur son interlocuteur, de cette malheureuse histoire du gagne-petit Raboisson.

Martin-Simon soutint avec le plus grand sang-froidce regard inquisiteur, et repartit avec un étonnement fort naturel :

— Eh bien ! en quoi cet événement peut-il me toucher ? J’ai constaté, comme c’était mon devoir, la découverte du corps au bas du précipice ; j’ai relaté dans le procès-verbal toutes les circonstances qui étaient à ma connaissance sur cet accident ; vous vous êtes chargé de remettre cette pièce au parquet du parlement de Grenoble, et messieurs les conseillers jugeront dans leur sagesse, s’il y a lieu ou non, d’ordonner une enquête sur la mort de ce vagabond… Que me reste-t-il à faire en tout ceci ? J’ai rempli ma tâche, et, grâce à vos conseils, j’espère n’avoir omis aucune formalité importante.

— Vous oubliez, monsieur, que vous avez reconnu vous-même, dans le procès-verbal en question, la possibilité que ce vagabond, comme vous l’appelez, ait péri par suite d’un meurtre, et certainement le parlement tiendra compte de cette insinuation.

— C’est vous qui avez insisté sur ce point, dit Martin-Simon avec indifférence, et je vous ai laissé mettre dans l’acte ce que vous avez voulu, m’en rapportant à votre expérience. D’ailleurs, que le parlement fasse ou ne fasse pas d’enquête, que m’importe ! ma mission est finie.

Le procureur fit un hem significatif.

— J’ai bien peur, mon généreux ami, que tout ne soit pas encore fini, comme vous le pensez ; je dois vous apprendre des choses qui vous surprendront.

— Vous ?

— Moi-même ; j’ai regret d’affliger une personne que j’estime et que j’aime déjà, car, malgré notre courte connaissance, mon cher Simon, je vous aime autant qu’homme du monde… Mais je suis forcé par ma conscience de faire peser sur vous des soupçons que, je l’espère toutefois, vous n’aurez pas de peine à écarter quand le moment sera venu.

Michelot parlait avec une affectation de bienveillance et de familiarité qui, de sa part, était du plus sinistre augure.

— J’attends que vous vous expliquiez ! dit le montagnard sèchement.

— Eh bien, donc ! reprit le procureur avec un chagrin hypocrite, je vais peut-être, mon bon et digne hôte, me trouver dans l’obligation de vous poursuivre devant le parlement de Grenoble, comme coupable du meurtre du gagne-petit Raboisson, et j’en suis vraiment désolé, je vous le jure.

Martin-Simon se dressa de toute sa hauteur.

— Cet homme devient fou ! dit-il avec dédain.

— Pas si fou que vous le pensez ; rasseyez-vous et veuillez m’entendre ; vous jugerez vous-même si l’on ne peut pas, sans être taxé de folie, accorder quelque attention aux charges qui s’élèvent contre vous.

Simon haussa les épaules d’un air de pitié ; cependant il se rassit et croisa ses jambes avec nonchalance.

— Allez toujours, dit-il, je vous écoute.

L’homme de loi se recueillit, afin de rendre son argumentation plus claire et plus logique.

— Mon cher hôte, dit-il du même ton doucereux qu’auparavant, mon brave et généreux ami, ne m’en voulez pas si l’intérêt même que je porte à votre sûreté m’oblige à vous montrer toute l’étendue du danger que vous pouvez courir. Il n’existe, je l’avoue, aucune preuve matérielle d’un acte de violence commis sur la personne de Raboisson ; mais si l’on arrivait à prouver que cet homme était maître d’un secret qui intéressait le personnage le plus puissant du pays ; s’il se présentait des témoins pour affirmer que, la veille même de l’accident, Raboisson avait été menacé par le personnage dont nous parlons d’être jeté dans un précipice, ce qui est précisément le genre de mort auquel il a succombé, vous conviendrez qu’il y avait